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ANIMALS de Marçal Forès : malaise de l’adolescence

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Espagne. Pol (Oriol Pla) est un adolescent lunaire, taciturne, qui vit seul avec son grand frère. Ce dernier est préoccupé par son mutisme et par le fait qu’à son âge il continue à parler à son ami imaginaire, Deerhoof, un ours en peluche. C’est en effet en lui que Pol trouve son seul confident. Au lycée anglais dans lequel il étudie, le jeune homme passe son temps avec deux de ses camarades, Mark (Dimitri Leonidas) et Laia (Roser Tapias). Ces amis « réels » savent déjà ce que Pol semble ne pas encore être apte à assumer : il est attiré par les garçons. Une donnée qui n’est pas sans troubler Laia, amoureuse de lui en secret et espérant encore pouvoir le séduire. Mais Pol est très secret, s’enferme dans son monde imaginaire et de plus en plus anxiogène qu’il s’est créé. Il sèche les cours pour traîner dans la forêt, joue de la musique avec Deerhoof qui est le seul à lui faire oublier son mal être mais qui aussi paradoxalement y contribue…

Un jour, Pol décide de se débarrasser de son ami imaginaire, d’essayer de grandir. Mais cette décision survient au même moment que des événements étranges perturbent son établissement scolaire. Une des nouvelles étudiantes s’est mystérieusement volatilisée, seule sa voiture a été retrouvée, dans l’eau. Pol décide d’aller aborder Ikari (Augustus Prew), l’un des amis de la disparue, qu’il avait déjà remarqué depuis un petit moment. Le jeune homme, qui pourrait être son premier amour, semble lui aussi attiré mais il se révèle particulièrement tordu, désireux d’initier son nouveau compagnon de jeu à la mutilation… Sans Deerhoof, Pol est de plus en plus perdu face à des désirs flous, son malaise face à un monde auquel il semble complètement étranger…

animals marçal forès

Premier long-métrage du réalisateur espagnol Marçal Forès, Animals apporte une touche toute personnelle au traditionnel film sur l’adolescence, entre mal être, premiers désirs et quête identitaire. Si l’on note quelques références évidentes à des œuvres cultes comme Donnie Darko ou Elephant, le réalisateur impose rapidement son style, d’une étrangeté vénéneuse. On tombe déjà sous le charme du personnage principal, Pol, adolescent qui n’arrive pas à quitter le monde de l’enfance. On devine un drame familial (il vit seul avec son grand frère qui se charge de son éducation), d’autant plus terrible qu’il n’est jamais évoqué. Le quotidien est fait de non-dits, de tensions latentes. Le grand-frère essaie de faire de son mieux face à un garçon mystérieux, différent, dont il peine à décrypter les comportements. En voulant trop le protéger, il finit par involontairement le blesser, comme lorsqu’inquiet qu’il continue à parler à son ours en peluche, il se décide à enterrer celui-ci dans le jardin. C’est avant tout par le regard de ce grand-frère bienveillant mais maladroit, et par ailleurs policier, que Pol se voit contraint d’arriver au constat qu’il n’est pas « normal », que quelque chose ne va pas chez lui.

Le monde entier lui semble étranger, violent. Il aime alors se réfugier dans la forêt avec Deerhof. Mais au beau milieu des buissons, c’est la cruauté de la nature même qui le rattrape (un chien menaçant lui arrache son ami imaginaire et s’enfuit avec). Quand on est un adolescent, on se cherche et il n’est jamais aisé d’assumer sa différence. Timide, énigmatique, Pol essaie de se conformer aux normes, aux règles. Il finit ainsi par « assassiner » Deerhoof en le jetant du haut d’un pont, pensant pouvoir alors grandir. Coincidence ? C’est justement dans l’eau que disparaît, comme Deerhoff, l’une de ses camarades de classe. Attiré par les garçons mais apeuré par l’idée de passer à l’acte, Pol essaie également de répondre aux attentes de sa bonne copine Laia. Mais c’est par le nouveau du lycée, Ikari, qu’il est avant tout attiré. Celui qui aurait pu devenir son compagnon, succéder à Deerhoof, se révèle hélas d’une noirceur menaçante. Si les deux garçons ont bien des points communs, notamment le fait de percevoir de façon différente le monde dans lequel ils évoluent, de se sentir à la marge, Ikari apparaît comme dangereux, mêlant les premiers désirs de Pol à des gestes de mutilation, d’autodestruction. Complètement perdu, incapable de s’exprimer, Pol se laisse alors dériver, envahir par la mélancolie, revoyant lors des moments de détresse ou de grande solitude son ami imaginaire…

animals marçal forès

Marçal Forès livre avec Animals l’une des œuvres les plus intrigantes sur le sujet du malaise adolescent vu depuis longtemps. La relation fusionnelle de Pol avec son ours en peluche est d’une intensité inattendue et renforce le côté ultra sensible d’un personnage fragile qu’on a constamment envie de prendre dans nos bras. Avec beaucoup de subtilité, le film parvient à matérialiser les blessures intimes et profondes de son jeune anti-héros incapable de se fondre dans le décor. Mais surtout c’est par sa forme que le projet emballe définitivement. La mise en scène est très maîtrisée, puissante, la photographie superbe, rendant hypnotique et inquiétante la nature environnante. Se déploie une atmosphère singulière, à la fois magnétique et troublante, entre beauté et noirceur. Et l’excellente bande-originale, entre morceaux pop rock indépendants du meilleur goût et passages instrumentaux malaisants, achève de planter un décor sinueux dans lequel on se laisse perdre, aspirer.

Si comparé à un ensemble dont le mystère et la latence captivent le final est un poil expéditif, on passe outre tant se révèle ici un véritable auteur, nous emmenant ailleurs, retranscrivant avec une force et une poésie rares les pulsions adolescentes les plus sombres. Animals est un film à la fois sensible et éprouvant, doté de nombreuses scènes plaçant le spectateur dans une position inconfortable, le confrontant à des sensations tour à tour délicates, physiques, insoutenables (les passages de mutilation). On en ressort marqué, comme en émergeant d’un songe étrange. Les cinéphiles aventureux qui n’ont pas peur des œuvres troubles ne devraient pas regretter le voyage…

Film produit en 2012 et jamais sorti en France. On le trouve en import DVD. 

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3