CINEMA
ALLÉLUIA de Fabrice du Welz : envoûtée
Gloria (Lola Duenas) élève seule sa petite fille et travaille dans une morgue. Son époux est décédé et sa vie personnelle est définitivement au point mort. Une amie la pousse à accepter un rendez-vous donné par un séduisant célibataire, Michel (Laurent Lucas), sur un site de rencontres. Gloria finit par aller à la rencontre de cet inconnu qui parvient à la séduire dès le premier rendez-vous. Redécouvrant les plaisirs de la chair, l’ivresse de l’amour, Gloria se sent revivre. Mais elle découvre que Michel est un arnaqueur qui séduit des femmes pour leur voler de l’argent. Plutôt que de fuir, Gloria décide au contraire de dédier sa vie à cet homme qu’elle connaît à peine. Elle abandonne son enfant pour accompagner Michel dans ses combines, se faisant passer pour sa sœur tandis qu’il embobine de pauvres veuves ou célibataires en les séduisant. Ce petit jeu trouve rapidement ses limites : Gloria a de plus en plus de mal à supporter de voir celui qu’elle aime follement faire la cour et l’amour à d’autres qu’elle. Au fil des semaines, l’étrange couple tombe dans une drôle de spirale entre passion et meurtres…
C’est à une aventure complètement barrée que nous invite le réalisateur Fabrice Du Welz avec Alléluia. Le film commence comme un drame intimiste d’auteur, déprimant, gris, dressant le portrait austère d’une mère tristement célibataire. Puis tout bascule alors que se profile la rencontre avec Michel. Si lors de son rendez-vous, ce dernier se montre séduisant et sûr de lui, dans l’intimité il apparaît comme terriblement inquiétant, procédant à d’étranges rituels pour envoûter les femmes qu’il compte mettre dans son lit pour mieux les escroquer. Dès lors que Gloria découvre les activités peu reluisantes de Michel, le projet bascule. N’importe quelle personne sensée aurait fui, le cœur brisé. Gloria, elle, décide de plonger. Sous l’emprise de cet homme charnel qu’elle connaît à peine, elle prend la décision de tout plaquer pour le suivre. On saute avec elle dans le vide, nous retrouvant face à une intrigue délicieusement imprévisible.
Ce qui séduit dans Alléluia, c’est à la fois sa maitrise formelle (utilisation élégante de ralentis, de procédés visant à étourdir le spectateur, parenthèse musicale romantique et absurde…) et son insolence. Les personnages sont sauvages, ne disposent pas d’une psychologie autorisant un récit linéaire. Les scènes improbables, flirtant avec le grotesque, témoignant d’un second degré assumé, raviront à n’en pas douter les amateurs de films de genre, de cinéma bis et autres curiosités. De la passion, du sexe, du sang, du fétichisme (une scène réjouissante de léchage de pieds !), de la folie : tous les ingrédients habituels sont réunis pour une œuvre inclassable et culottée.
S’il est définitivement fun, Alléluia est loin d’être creux pour autant. C’est avant tout le récit d’un amour fou, qui échappe aux normes du monde. La passion apparaît ici comme un sort qui fait totalement perdre la tête, tout basculer, qui donne l’illusion de revivre pour mieux amener vers la mort. Si les références bibliques sont un peu nébuleuses, le petit côté fantastique du film (on se demande jusqu’au bout si Gloria est une dépressive totale ou si l’envoûtement de Michel sur elle a vraiment fonctionné) lui donne, si besoin était, encore plus de gueule. Par son côté dingo, le projet ne plaira assurément pas à tout le monde. Ici, on trouve ça ultra jouissif.
Sorti en salles le 26 novembre 2014. Disponible en DVD et VOD