CINEMA
BEAU-PÈRE de Bertrand Blier : le deuil et l’interdit
Drame sulfureux et infiniment mélancolique, Beau-Père de Bertrand Blier marque les esprits notamment de par le duo formé par Patrick Dewaere et Ariel Besse.
Une petite ville de France. Rémi (Patrick Dewaere) joue du piano dans des restaurants où personne ne l’écoute. Il gagne difficilement sa vie, juste de quoi subvenir à ses besoins essentiels et ceux de sa femme, Martine (Nicole Garcia) et de la fille de cette dernière qui vit avec eux, Marion (Ariel Besse). Martine regrette de ne pas pouvoir s’offrir des petites choses futiles et espère gagner un peu d’argent en faisant des photos. Jadis on photographiait son visage mais désormais elle n’a plus que de minces chances d’être photographiées pour des pages de lingerie.
Un jour, alors qu’elle part passer un casting, elle est victime d’un accident qui lui coûte la vie. Rémi est sous le choc et peine à annoncer la nouvelle à Marion. Aussitôt cette dernière apprend-elle la nouvelle du décès qu’elle le supplie de la laisser vivre avec lui : elle ne veut pas retourner chez son père (Maurice Ronet). Le père insiste dans un premier temps pour obtenir la garde mais finit par abdiquer, ne supportant pas le malheur de sa fille.
Mais quand Marion revient vivre chez Rémi, quelque chose change. Progressivement, elle se met à lui avouer ses sentiments et son désir. Ce qui met forcément Rémi mal à l’aise étant donné que la jeune fille n’a que 14 ans. Il la repousse autant que possible, ne sachant comment faire : il veut la tenir à distance et en même temps la protéger. Il l’aime comme sa fille alors qu’elle veut qu’il l’aime comme une femme. Les semaines passant, le lien entre Marion et son beau-père devient de plus en plus ambigu. Ils vont finir par franchir les barrières de l’interdit.
Avec ce film très mélancolique, Bertrand Blier aborde de nombreux thèmes. Celui tout d’abord d’une certaine misère sociale. Rémi bataille pour gagner sa vie, doit demander de l’argent à ses proches ou même un foyer même s’il en a honte. La France filmée ici est grise, triste et la fracture sociale est très visible entre ce pianiste à moitié méprisé et la clientèle huppée des lieux où il se produit. Rémi a sur ses épaules le poids d’une vie d’artiste raté qui ne sait pas de quoi ses lendemains seront faits, d’autant plus qu’il est un sujet récurrent au spleen.
L’autre grand sujet est bien sûr la relation interdite entre une adolescente et son beau-père. Le désir survient peu à peu alors qu’ils ont chacun perdu la pièce maîtresse de leur existence : pour lui sa femme, pour elle sa mère. Le film évite la psychologie facile et les jugements et laisse le spectateur se faire son avis. La mort de Martine éveille-t-elle chez Marion une sexualité précoce, une fuite en avant vers la vie adulte ? Cherche-t-elle en quelque sorte à prendre la place de sa mère dans le lit de son beau-père ? A demi-mots (en témoigne le troublant plan final), le réalisateur sonde l’ambiguïté des filles face au seul modèle masculin adulte qui les entoure. Un regard fasciné et au désir retenu.
Ce qui parcourt aussi Beau-Père c’est le thème du deuil, de ces choses dégueulasses de la vie qui frappent et changent tout pour toujours.
Le tour de force de ce drame formidablement interprété et dialogué est de nous faire ressentir les tourments de ses deux personnages principaux. Si au départ leur lien est inconcevable, on finit par être dans l’empathie. Rémi et Marion sont deux âmes esseulées qui n’arrivent à tenir debout que tous les deux… jusqu’à ce que l’existence leur donne l’opportunité éventuelle de grandir, d’ouvrir de nouvelles portes, même si leur lien restera indéfectible.
La mise en scène est belle avec des apostrophes du spectateur joliment incorporées, tous les personnages ont une véritable épaisseur même avec peu de temps de présence à l’écran (comme Maurice Ronet, Nicole Garcia et Nathalie Baye qui campent des seconds rôles marquants). Une oeuvre troublante et souvent bouleversante sur le mal de (sur)vivre.
Film sorti en 1981 et disponible en DVD et VOD