FICTIONS LGBT
OLIVIA de Jacqueline Audry : passions et jalousies
Grosse curiosité que Olivia, film de l’une des premières femmes cinéastes françaises , Jacqueline Audry, abordant les jeux de séduction et de pouvoir de femmes dans un pensionnat.
1890. La jeune Olivia (Marie-Claire Olivia) arrive dans le pensionnat des Avons. Elle qui vient d’un autre pensionnat très strict est surprise par l’atmosphère joyeuse et bienveillante qui règne dans ce nouveau lieu. Le cadre est idyllique, sa chambre raffinée et ses camarades l’accueillent à bras ouverts.
L’établissement est tenu par la charismatique Mademoiselle Julie (Edwige Feuillère), une femme aussi belle qu’élégante et cultivée dont les lectures nocturnes envoûtent tout le monde et Mademoiselle Cara (Simone Simon), coquette et nostalgique qui ne peut participer à la vie du pensionnat comme elle l’aimerait car elle est frappée par un énigmatique soucis de santé. Alors qu’Olivia fait ses premiers pas dans ce nouveau monde, les autres élèves se demandent si sa préférence ira à Mademoiselle Julie ou Mademoiselle Cara. Il y a en effet deux équipes : les julistes et les caristes.
Si Mademoiselle Cara lui tend les bras à son arrivée, Olivia a vite fait de se laisser obséder par Mademoiselle Julie, à la fois modèle et objet de désir inavoué. Cette dernière entame un drôle de jeu avec sa nouvelle pensionnaire, la traitant par moments comme sa nouvelle favorite ou la rabaissant sournoisement à d’autres occasions quand elle ne marque pas d’autres préférences pour d’autres jeunes filles. Si la majorité des filles des Avons est en admiration devant Mademoiselle Julie, Olivia est pour sa part réellement en train de tomber amoureuse. Un amour passion qui va de plus en plus la consumer.
Sorti en 1951, Olivia est définitivement un film très audacieux pour son époque. La réalisatrice Jacqueline Audry adapte une oeuvre de Dorothy Bussy et aborde de façon on ne peut plus claire les tourments de personnages adultes et adolescents qui ont du mal à faire face à leurs désirs lesbiens.
La mise en scène est très élégante et la cinéaste a vraiment réussi à créer un lieu idyllique, hors du temps pour ce pensionnat des Avons où tout est décoré avec raffinement. On n’est pas loin du château de princesse et le lieu fait songer à un doux cocon dans lequel on a envie de vivre. Les pièces, les costumes, les accessoires : tout est splendide. La majeure partie de l’oeuvre se passe en huis clos et on a l’impression de vivre entre ces murs et de ressentir toutes les passions qui animent les protagonistes.
L’écriture des personnages est une des autres qualités de ce classique à redécouvrir. Si certaines figures sont archétypales, chaque personnage est attachant et contribue à faire des Avons un lieu à part et inoubliable. La prof de Maths Mademoiselle Dubois qui ne cesse de répéter qu’au fond son enseignement ne sert pas à grand chose dans la vie et qui a un sacré appétit. La cuisinière, Victoire, au caractère bien trempé. La menaçante Frau Riesener qui semble roder en permanence, qui a le rôle de rabat-joie et qui manigance dans l’ombre. L’ancienne pensionnaire Laura qui ravive des jalousies du passé. Mademoiselle Cara qui n’en finit plus de faire sa diva, sorte de malade imaginaire et surtout malade du coeur, jalouse à la fois de ne pas être le centre de l’attention de Mademoiselle Julie et que cette dernière finit trop souvent par être la préférée des pensionnaires. Bien évidemment s’ancre dans les mémoires Mademoiselle Julie, magnétique et ambigüe, parfois submergée par des désirs interdits pour ses élèves. Et enfin Olivia, l’héroïne, qui tombe amoureuse pour la première fois et va découvrir cette sensation aussi délicieuse que douloureuse…
Si le personnage d’Olivia peut paraître un peu naïf et que la jeune actrice Maire-Claire Olivia ne brille pas particulièrement par son interprétation, Edwige Feuillère et Simone Simon régalent à chacune de leurs apparitions. Les dialogues sont beaux et soignés et le film est à la fois un « film de pensionnat », une histoire de passions lesbiennes et de rivalité, une éducation sentimentale dans la douleur, le récit de jeux de pouvoir sournois.
Ces femmes en vase clos réfrènent leur homosexualité mais sont parfois dépassées. Au tabou de l’homosexualité s’ajoute le caractère sulfureux de l’attirance pour des adolescentes. Si l’oeuvre de Jacqueline Audry fascine autant des décennies plus tard c’est aussi et surtout pour sa façon de mêler un romantisme classique à un côté plus « bitchy » et camp. Baisers dans le cou, mains qui se tiennent, caresses délicates, sentiments confessés à demi-mots s’opposent aux trahisons et aux souffrances des aspirantes favorites éconduites. En filigrane, au fil du métrage, Olivia se construit. Elle est entrée au pensionnat en tant que jeune fille naïve, elle en ressortira en tant que femme. Avec de l’amertume peut-être mais droite, grandie.
Film sorti en 1951. Disponible en DVD et VOD