CINEMA
LOLA de Jacques Demy : beauté et illusion du premier amour
Un jour à Nantes, Cécile (Anouk Aimée) a eu 14 ans. Et ce jour elle a rencontré un homme blond et grand, en marinière. Le coup de foudre, le premier amour. Le marin est parti, il est revenu, il l’a aimée et quand elle tomba enceinte, il partit à nouveau. Pour faire fortune. Voilà sept ans que Cécile attend que son amoureux lui revienne. Elle élève seule son petit garçon et elle est devenue Lola, danseuse qui ne demande qu’à plaire mais qui ne s’engage jamais. Un piège pour les hommes qui finissent tous par être ensorcelés.
Dans la même ville, erre Roland Cassard (Marc Michel). Il bouquine, va au cinéma et se rend compte qu’il n’a aucune envie de travailler, que cela n’a pas grand sens. Alors il s’ennuie, il se fait licencier. Il a conscience qu’il a trop rêvé, qu’il est peut-être devenu un raté. On lui propose un nouveau job, un truc louche, une histoire de mallette à échanger. Il devra partir le Samedi même. En allant à la Bibliothèque, Roland croise une femme vieillissante et sa fille. Cette dernière s’appelle Cécile, elle a 13 ans, et elle rappelle à Roland une jeune fille qu’il a connu et qui avait le même prénom. Et voilà que par hasard, au coin d’une rue, Roland retombe sur cette fameuse Cécile…devenue Lola. Dans les rues de la ville, les jeux de l’amour et du hasard vont se mêler du destin de plusieurs personnages…
Premier long-métrage de Jacques Demy, Lola déclenche à chaque vision une sensation très étrange. On pourrait parler d’un rêve, d’un enchantement. Ce noir et blanc, ces éclats de lumière, les travellings, les panoramiques, les effets de grue…Tout nous donne l’impression de tourner ou de flotter, d’évoluer dans une curieuse rêverie. Et le thème musical composé par Michel Legrand ne fait qu’amplifier cette sensation singulière. A l’écran, Roland Cassard se pose des questions sur sa vie, sur LA vie. Quel sens ? Que faire pour ne pas mourir d’ennui ? Voyager ? Il n’a pas d’amour dans sa vie, un de ses vieux amis, un certain Poicard a mal tourné (clin d’œil amusant à A bout de souffle). Mais si Marc Michel traine sa moue pleine de mélancolie avant l’heure on sent pourtant bien l’espoir. Lola est de ces films où on sent que tout est possible, que tout peut arriver, que d’une seconde à l’autre la magie du cinéma va nous emporter encore et encore.
Réalisé en 1961, dans la lignée des films de la Nouvelle Vague, Lola revendique ses influences. Demy dédie son film à Max Ophüls et flirte avec une esthétique à la Visconti. Mais il impose surtout son univers fait de quête identitaire, d’amour et de hasard. Le réalisateur avait fantasmé son film en couleurs avec beaucoup de numéros chantés. Il a finalement retravaillé le scénario et cédé au noir et blanc, le budget étant restreint. Le résultat n’a rien à envier aux œuvres qui lui succèderont. Pendant environ 1h30 on se sent portés dans un élan, les personnages se rencontrent, s’entrechoquent. Et on le sent déjà, plus rien ne sera comme avant, pour les protagonistes, comme pour le spectateur.
Qu’est-ce qui peut changer une vie, lui donner un sens ou au contraire la briser peut-être à jamais ? La réponse que donne le film est claire : c’est le premier amour. Celui que l’on n’oublie jamais et qui nous poursuit. Lola attend depuis sept ans, ne pense qu’à son Michel. Elle veut croire au destin. Pendant ce temps, un marin américain (qui lui rappelle vaguement son ancien amour) la suit, l’espère. En vain. Et puis ce sera au tour de Roland Cassard de craquer pour la belle. A sa rencontre, il ressent l’envie de rester à Nantes. La vie n’est plus pareille : ce matin il marchait et il trouvait les gens beaux. Lola était son premier amour quand il était tout jeune et la retrouver par hasard ne fait que raviver des sentiments enfouis. Mais gare à lui : comme elle le dit dans un numéro chanté, Lola peut être impitoyable avec les hommes.
La réalisation de Jacques Demy est comme l’amour : elle rend ivre, plein de souffle, léger. Et se cache derrière un travail de mise en scène et scénaristique extrêmement précis. La jeune Cécile que rencontre Roland Cassard à la bibliothèque est un reflet évident de Cécile/Lola. La demoiselle fête ses 14 ans et s’éprend subitement d’un marin. Le spectateur a alors le privilège de vivre ce moment décrit plus tôt et de chavirer le temps d’un après-midi, à la fête foraine. Et le personnage de la mère de Cécile est là, inquiète. Interprétée par Elina Labourdette, ce personnage semble avoir un passé refoulé de danseuse. Clin d’œil aux Dames du bois de Boulogne, de Bresson.
L’élan de l’amour, ses espoirs, peuvent très bien nous emmener vers le conte de fées. Mais il peut aussi aboutir à de cruelles vérités, comme celle d’un amour non partagé. Mis à part Lola, tout le monde connaitra un destin plus ou moins tragique. La vie sera comme foutue. Certains abandonneront, d’autres resteront seuls à espérer. Des chemins se recroiseront peut-être. Rien n’est définitif, tout est comme suspendu. Jacques Demy nous laisse retourner à notre réalité.
Film sorti en 1961. Disponible en DVD et VOD