CINEMA
LE BEL INDIFFÉRENT de Jacques Demy : dialogue de sourds
Une femme (Jeanne Allard) attend. Elle attend désespérément que son compagnon, le jeune Emile (Angelo Bellini) rentre à leur appartement. Elle reçoit des coups de fil, fait comme s’il était là mais ne pouvait répondre. Puis Emile rentre enfin. Il reste là, indifférent, comme si de rien n’était. La femme vide son sac, tente de garder son calme mais le perd peu à peu. L’ amoureux reste muet et fait comme si elle n’était pas là. Un grand moment de solitude.
Adaptation d’une pièce en un acte de Jean Cocteau, Le bel indifférent est un court-métrage qui relève de la leçon de cinéma. Jacques Demy ne cherche nullement à prendre ses distances avec la pièce : le film s’ouvre sur un lever de rideau et s’achève une fois le rideau retombé. Entre temps, c’est un portrait de femme tragique qui se dessine. Une femme névrosée, que l’on comprend mais qui peut aussi apparaître agaçante, campée à merveille par Jeanne Allard. Ou l’histoire d’un homme et d’une femme qui ne se comprennent pas, pire, qui ne peuvent plus dialoguer ensemble. Emile reste sur le lit, consulte son journal, semble dans un autre monde. Pendant ce temps, sa compagne révoltée poursuit un monologue témoignant de toutes ses frustrations et des paradoxes qui vont avec.
Le huis clos dure pratiquement une demi-heure et se révèle extrêmement savoureux. La réalisation est fluide et chaque déplacement de Jeanne Allard (filmée de face ou de profil) est l’occasion de plonger un peu plus dans sa solitude et ses névroses. Le spectateur pourra admirer les très beaux plans fixes, avec ce lit, cette porte et surtout cette tapisserie rouge comme la passion et le sang. Un dialogue de sourd cruel et réaliste, lyrique, à l’écriture tranchante, et superbement interprété.
Court-métrage réalisé en 1957. Disponible en DVD