VIES BRÛLÉES de Marcelo Pineyro : gangsters et amants

Buenos Aires, 1965. Tout le monde connaît « les jumeaux », Nene (Leonardo Sbaraglia) et Angel (Eduardo Noriega), deux gangsters qui ne font leurs coups qu’ensemble. Ils ne se ressemblent pas vraiment physiquement, ils ne sont même pas frères : ils sont amants. Ils se sont rencontrés par hasard, dans des toilettes publiques, alors qu’ils cherchaient un peu de compagnie et de chaleur. La suite : une véritable histoire d’amour et une énorme complicité. Seulement, depuis quelques temps, des fissures apparaissent. Angel, un peu fou, qui croit depuis longtemps « entendre des voix », refuse que son amoureux Nene lui fasse l’amour. Ils capitalisent sur un nouveau coup pour retrouver leur force.

Mais l’opération tourne à la catastrophe, se présentant comme un piège. Angel est blessé, lui et ses acolytes sont identifiés. Ils ont abattu des policiers et tout le monde se retrouve à leurs trousses. Ils vont devoir quitter le pays, se cacher, vivre reclus. En huis clos avec leur « boss » et leur complice hétéro Cuervo (Pablo Echarri), ils découvrent les aléas de la promiscuité. Alors que le chef de l’opération fuit, le couple gay reste avec Cuervo et décide d’aller prendre l’air, se mettant pour le coup sérieusement en danger. Tandis que Cuervo joue à l’enfant, refusant d’envisager le pire, Nene et Angel continuent de traverser leur mauvaise passe. Très inquiet, sombrant de plus en plus dans la superstition et la folie, Angel se replie sur lui-même. Blessé par l’écart qui se creuse avec son « âme-frère », Nene sort seul la nuit et s’amourache d’une jeune femme sensible, Giselle (Leticia Bredice). Pourra-t-il assumer sa nouvelle double vie ? Jusqu’où pourra durer cette cavale ? Le temps passe et le danger est plus que jamais omniprésent …

Vies brûlées (Plata quemada en VO) fait sans aucun doute partie des meilleurs films gays des années 2000. A travers ses deux personnages principaux, campés par les torrides Leonardo Sbaraglia et Eduardo Noriega, il revisite franchement, des décennies après Un après-midi de chien, le film de gangsters en y apportant une thématique LGBT. L’oeuvre mêle cavale, film noir et grande romance avec une belle maestria et le cinéaste Marcelo Pineyro affiche son ambition dès les premières minutes : photographie et lumière très soignées, interprétation irréprochable, reconstitution d’époque jamais clichée, scénario et dialogues subtils, joliment littéraires.

A la fois adaptation de nouvelle et de fait divers, le long-métrage trouve toujours le bon équilibre entre action et sentiments. Et il impose une love story gay avec naturel, comme une évidence, malgré l’univers très macho des gangsters et truands des années 1960 où il prend place. Un univers viril où les femmes sont souvent réduites au rang d’objet et où les gays sont habituellement victimes de bien des railleries.

Ici, Angel et Nene par leur classe et leur tempérament, forcent de suite le respect de leurs pairs. Et apparaissent comme le summum de l’amitié virile : partenaires jusqu’au bout, fusionnels, amants. Malheureusement leur relation est sur le déclin. Ces deux hommes de poigne, peut-être plus sensibles que les autres, vont se laisser dévorer par leurs sentiments.

Le film est très fort, subtilement métaphorique, très émouvant. La love story sur le fil y est pour beaucoup. Impossible de résister à la complicité évidente d’Angel et Nene, incapables d’exister l’un sans l’autre, dont chaque regard vaut une magnifique déclaration d’amour ou d’impuissance déchirante.

Autant film sur l’amour qui s’épuise que film sur la solitude de gangsters en fin de course, Vies brûlées met en scène des hommes-enfants en dehors de la réalité, hors du monde, qui essaient tant bien que mal de survivre malgré la fatalité. Vie et mélancolie, sensualité et virilité, amitiés inattendues, affrontements : beaucoup de suspense et de sensibilité au programme de cette œuvre audacieuse et rondement menée dont on ressort les yeux mouillés. Un must.

Film sorti en 2001 / Disponible en DVD et en VOD