À TOUTE VITESSE de Gaël Morel : trahisons de jeunesse

Dans une bourgade de Province, le joli Quentin (Pascal Cervo) voit son quotidien changer alors que son premier roman remporte un prix régional qui lui vaut d’être édité modestement. Un premier succès qui va l’amener à décrocher un contrat national avec une prestigieuse maison d’édition. De quoi rendre ses proches très fiers de lui. Côté vie privée, Quentin aime cloisonner ses relations afin de garder des rapports très exclusifs. Il n’a ainsi jamais tenu à présenter sa petite amie Julie (Elodie Bouchez) à son meilleur ami Jimmy (Stéphane Rideau). Alors que Quentin débute une nouvelle amitié avec un jeune homme timide et tourmenté, Samir, Jimmy et Julie se rencontrent enfin. En quelques semaines tout va basculer.

Quentin pousse son nouvel ami Samir (Mezziane Bardadi) à lui raconter l’histoire tragique de son amitié avec son meilleur ami décédé. Il compte utiliser ses douloureux souvenirs pour son prochain roman. Samir se livre, ayant confiance en Quentin qu’il désire de plus en plus ardemment. Mais l’objet de son affection agit tel un vampire : il lui en demande toujours plus pour nourrir ses écrits et refuse violemment ses avances (car Quentin se dit hétérosexuel). Alors que la relation entre les deux garçons se fait orageuse, le moment est venu pour Quentin de partir tenter sa chance à Paris. Pendant son absence, les rapports entre ceux qu’il a « laissé derrière lui » évoluent. Jimmy et Julie couchent ensemble et entament une liaison ; Samir devient leur ami. Les temps changent, les amitiés et les amours se transforment. L’adolescence passe à toute vitesse et les premiers pas vers le monde adulte pourront s’avérer bien plus cruels que prévu…

La fin de l’adolescence est un sujet récurrent dans le cinéma d’auteur français. Et ce n’est pas pour rien que tant de cinéastes s’y intéressent : la concrétisation des premiers désirs, la découverte du monde adulte, la perte des illusions…ça nous touche tous, c’est universel. Alors que l’on approche de la majorité, tout s’apprête à changer. Il y a ceux qui bougent pour poursuivre leurs rêves, déployer leurs ambitions. Et ceux qui restent. Quentin, jeune homme intelligent et légèrement manipulateur sait exactement ce qu’il veut. Il deviendra écrivain, peu importe le prix à payer, les amis à sacrifier. Il observe d’un œil presque déprimé son père, simple ouvrier, qui mène une vie modeste. Hors de question pour lui de rester dans les environs. Son premier roman est salué et comme il l’explique alors qu’il reçoit son prix, Quentin n’est pas forcément quelqu’un qui a beaucoup d’imagination. Il se nourrit des gens qui l’entourent. Ainsi, ses premiers écrits parlent de ses amis, Jimmy en tête, et on retrouve sur la couverture une photo de sa petite amie Julie. Alors qu’il fait la connaissance de Samir, un jeune garçon brisé par la mort de son meilleur ami, il flaire instantanément la matière nécessaire pour une nouvelle intrigue.

Quentin est un personnage ambivalent. Il est séduisant mais aussi vénéneux et légèrement prétentieux. Bien conscient que Samir brûle de désir pour lui, il le laisse fantasmer pour mieux l’exploiter. Il se laisse ainsi toujours embrasser par lui pendant un moment avant de mieux le rejeter avec virulence. La relation finira par mal tourner : une fois qu’il aura une base suffisante pour broder l’intrigue de son roman, Quentin enverra définitivement promener Samir. Ce dernier sera alors doublement blessé. Blessé par la « rupture » de cette amitié dont il attendait tant et blessé par son propre comportement (il a trahi la mémoire de son meilleur ami en racontant toute leur histoire à un inconnu). A toute vitesse est d’ailleurs l’histoire de multiples trahisons. Quentin trahissant en un sens les siens en disparaissant, instaurant un fossé dès lors qu’il aura commencé sa nouvelle vie parisienne ; Jimmy et Julie s’aimant en secret derrière le dos de Quentin ; sans parler des trahisons à eux-mêmes que s’infligent la majorité des protagonistes.

On peut scinder le film en deux parties. Dans la première, Quentin vit ses derniers instants en compagnie de sa copine et de son meilleur ami. Il est déjà en train de changer, quand il est en leur compagnie ils passent davantage de temps à se remémorer des moments forts vécus ensemble plutôt que d’en vivre de nouveaux. Dans la deuxième, Quentin n’est plus là, les habitudes changent, Samir rejoint Jimmy et Julie pour un nouveau trio mais rien n’est plus pareil, chacun peine à surmonter ses blessures. Reste des moments d’ivresse, des courses à moto, quelques étreintes passionnées, qui laissent à penser que la jeunesse, cette chose qui passe si vite, n’est pas encore prête à s’envoler totalement.

En toile de fond, Gaël Morel parle du racisme. Le meilleur ami de Samir est mort dans des conditions mystérieuses. On peut supposer qu’il a été victime d’une bande d’extrémistes. Ces extrémistes sévissent depuis un moment dans la région où se déroule l’intrigue. Une connaissance de Quentin a ainsi subit une agression. Quentin dénonce cet acte alors qu’il reçoit le prix pour son roman, invitant « son ami » à venir exhiber sur scène sa cicatrice afin d’alarmer le public et exciter la presse. Cette instrumentalisation peut apparaître aussi abjecte que le racisme en lui-même. Le jeune auteur se sert des opprimés pour servir son image et se donner bonne conscience, il devient de plus en plus mégalo. C’est d’une certaine façon le racisme, les préjugés, qui auront la peau des jeunes d’Àtoute vitesse. En un rien de temps tout peut basculer, la vie ne tient qu’à un fil.

Avec un excellent casting, des sujets intemporels, une réalisation pleine d’énergie et un scénario sensible, cette oeuvre fait  partie des pépites du cinéma français des années 1990. Gaël Morel se profilait alors comme un digne héritier d’André Téchiné tout en s’affirmant comme un jeune cinéaste à la fois rock et tendre.

Film sorti en 1996 / Disponible en DVD et en VOD