CINEMA
LA RUPTURE de Philippe Barassat : se quitter… et après ?
La rupture est rarement un bon moment à passer. Elle fait du mal, elle brise les coeurs et les êtres parfois durablement. Elle peut aussi, en quelque sorte, s’apparenter à un moment de théâtre. On explique, on se justifie, on déclame, on est plus excessif que d’habitude.
Réalisateur indépendant qui nous a habitué à nous surprendre avec des oeuvres singulières (la dernière étant Indésirables), Philippe Barassat s’approprie ce sujet de la rupture amoureuse via une intrigue au cadre intemporel et interprétée dans un style évoquant le théâtre. Si par le passé ce jeu théâtral était souvent présent dans les films, il a un peu disparu et certains spectateurs pourront être un poil décontenancés lors des premières minutes du métrage. Mais la magie du texte, très bien écrit, riche, jouant habilement avec les mots, non dénué d’humour, d’ironie et de cruauté aussi, fait que rapidement on s’habitue à ce style qui détonne.
C’est un choix au final judicieux qu’a fait le cinéaste car les répliques chiadées amènent de la distance, prennent une portée parfois philosophique, tout en racontant avec acuité des situations qui auraient pu vite tourner à l’hystérie.
L’histoire est celle d’une jeune femme, Marie Louise, qui décide un jour de mettre un terme à son histoire avec l’amour de sa vie, Jean. Marie-Louise s’était jetée passionnément dans cette relation alors qu’elle était à peine majeure. Jean la fascinait, auteur de romans à succès traitant souvent du sentiment amoureux. Et puis, avec le temps, la jeune femme s’est sentie perdue, avec cette sensation de ne plus savoir qui elle était, vampirisée. Âgée d’une vingtaine d’années, elle décide de reprendre sa jeunesse et de la vivre autrement, sans se sentir dépendante d’un amour incarné par une personne plus âgée.
Le film commence par le moment de la rupture puis suit les personnages de Jean et de Marie Louise alors qu’ils essaient de se reconstruire l’un sans l’autre avant de se retrouver quelques temps plus tard. De nouveaux amours se profilent mais le fantôme de leur relation les poursuit. Se pose alors la question de savoir si il faut céder à la nostalgie et donner une seconde chance à ce grand amour ou aller de l’avant même si le ou la nouvelle partenaire ne fait pas forcément autant vibrer.
Indéniablement le projet a un petit côté Nouvelle Vague / rétro, plaçant le texte et les sentiments au premier plan. Il y a même un petit clin d’oeil à une scène culte des Parapluies de Cherbourg. S’y ajoute le charme indé d’une production faite avec peu de moyens, sans financements, hors circuit mais porté par une équipe de passionnés.
Surtout, La rupture se décline en deux versions : dans l’une le personnage de Jean est interprété par une femme (Béatrice de Stael), dans l’autre par un homme (Jean-Christophe Bouvet). Et si les personnages et le texte restent les mêmes les émotions qui s’en dégagent diffèrent étrangement. C’est l’occasion de voir comment un acteur ou une actrice peut vraiment amener sa touche et faire exister un rôle. La version avec Béatrice de Stael (qui est ici notre préférée) a plus de fantaisie. Jean apparait comme une femme difficile à déchiffrer, ambivalente, dont on ne sait jamais si elle est dans le sarcasme ou l’émotion pure. La version avec Jean-Christophe Bouvet a une tonalité plus dramatique, on a plus tendance à sentir la part vulnérable de Jean.
Tour à tour décalée, touchante, amusante et cruelle, cette variation sur la perte est à la fois hors du temps et rafraichissante malgré la gravité des sentiments évoquée. Dans le rôle principal, la très belle Alka Balbir attire tous les regards avec un phrasé qui évoque immanquablement le souvenir de la jeune Isabelle Adjani.
Le film est disponible gratuitement sur Youtube : version avec Béatrice de Stael / version avec Jean-Christophe Bouvet