CINEMA
LE VOYEUR (Peeping Tom) de Michael Powell : perversion cinématographique
Mark Lewis (Karlheinz Böhm) est un jeune homme perturbé. Et pour cause : il fut traumatisé dans son enfance par un père chercheur qui se servait de lui comme cobaye pour étudier la peur sur les enfants ! Le père n’avait de cesse de le filmer et d’inventer de nouveaux stratagèmes pour le mettre à l’épreuve. Papa décédé, Mark hérite de son immeuble, vit seul dans un vaste appartement où il a aménagé son laboratoire…Car Mark est devenu opérateur de cinéma et passe ses journées sur des plateaux quand il ne photographie pas des jeunes femmes.
Avec lui, l’objectif n’est jamais loin : Mark ne lâche en effet jamais sa petite caméra. Et son trip absolu est de filmer des femmes séductrices pour mieux les assassiner. Des crimes cruels, sadiques, puisque Mark inflige aux victimes de voir le visage de leur propre mort via un petit miroir fixé sur sa caméra. Alors que dans la ville des studios de cinéma les cadavres s’accumulent, la police enquête. Mark ne semble pas plus soucieux que ça de se faire prendre. Mais sa vie va pourtant changer : une des locataires de son immeuble, Helen (Anna Massey), va s’introduire dans son quotidien. Attirée par ce jeune homme étrange et taciturne, Helen va chercher à découvrir son univers…quitte à se mettre elle-même en danger…
Le moins que l’on puisse dire c’est que Le voyeur est un film à part. Incompris lors de sa sortie en salles, il se plait à mélanger les genres. Etant donné le scénario, on pouvait s’attendre à une atmosphère glauque, un climat oppressant. Il n’en est rien. S’il y a bien de la tension, elle ne survient jamais là où on l’attend. Et les couleurs utilisées surprennent : on est dans un univers très pop, couleurs saturées, décors presque surréalistes en raison du métier d’opérateur de cinéma du personnage principal. Un monde de cinéma, un monde forcément irréel, artificiel. L’œuvre s’ouvre en nous rendant complice de Mike Lewis via des plans en caméra subjective. On découvre comment il accoste une prostituée pour mieux l’amener vers la mort. Pas de petite mort, juste la grande faucheuse.
Le tour de force de Michael Powell est de rendre son serial killer attachant. Il ressemble à un enfant perdu, mal dans ses pompes, tuant presque de façon « pure » ses victimes féminines. Son arme ? Un pied de caméra. Le thriller laisse progressivement la place à la romance avec l’incursion du personnage d’Helen. Une jeune fille qui vit seule avec sa mère aveugle et alcoolique. Une fille elle aussi un peu perdue. Quand ils sont ensemble, Mark et Helen sont comme deux gosses qui s’apprivoisent. Il lui montre une ébauche de son monde, elle ne le juge pas. Elle sera peut-être la seule à qui il ne voudra pas faire de mal. On se surprend à vibrer, à fondre devant leur relation naissante. Une belle romance classique en plein thriller…
Le voyeur s’octroie même le doit de jouer la carte de la comédie. On trouve en effet un passage particulièrement comique, un poil absurde, alors que Mark met en scène une comédienne en roue libre pour mieux la tuer. Elle en fait des tonnes, se sent telle une muse, et on partagerait presque avec Mark son plaisir sadique à la mener en bateau. A l’image du personnage principal aux multiples facettes (boy next door / dangereux psychopathe) , les émotions que nous ressentons à travers le métrage sont contradictoires.
Michael Powell dessine aussi bien un drame intime, une histoire d’amour quasi impossible qu’un thriller. Rien ne semble vraiment réaliste, nous sommes constamment baignés dans une atmosphère de cinéma. La réflexion sur le septième art et le pouvoir des images est au cœur de l’œuvre. Mark comme son père ne pouvant s’empêcher de filmer en permanence, comme si la vie allait s’arrêter au moment de crier « couper ». Le cinéma est ici amour, obsession, terreur. Une passion qui se mue en maladie et vice versa. Tour à tour inquiétant ou fantaisiste, Le voyeur est un voyage au cœur du cinéma, tout sauf balisé et donc forcément jouissif. Délicieusement étrange et forcément audacieux.
Film produit en 1960 / Disponible en DVD et en VOD