FICTIONS LGBT
TRASH de Paul Morrissey : marginaux jetables
Joe (Joe Dallesandro) est héroïnomane. Le film s’ouvre alors qu’il est compagnie de son amie Geri (Geri Miller), une go go danceuse qui ne bosse plus trop depuis qu’elle est en couple avec un homme plutôt aisé. Ce dernier a installé une scène de spectacle interactive chez eux pour éviter que la belle ne soit tentée d’aller reprendre ses activités à l’extérieur. Cela ne semble en tout cas pas l’empêcher de draguer d’autres hommes. Elle essaie ainsi de se faire Joe, sans succès. Il faut dire que notre ami plane complètement. Il est tellement défoncé qu’il n’arrive plus à avoir une érection. Ils n’y arriveront définitivement pas. Joe finit par rentrer chez lui. Il vit en collocation avec une amie, Holly (Holly Woodlawn), une sorte de freak qui passe ses journées à fouiller dans la rue et les poubelles des objets abandonnés qu’elle revend ou stocke dans sa demeure. Tout s’entasse. Une des autres occupations favorites d’Holly, légèrement nymphomane sur les bords, est de ramener chez elle de jeunes garçons cherchant de la drogue. Elle leur promet l’extase, les shoote et abuse plus ou moins d’eux.
Toujours en quête de dope, Joe deale de temps en temps et tombe par hasard sur une autre junkie, une fille riche addict au LSD (campée par la mythique Andrea Feldman). Il a beau lui dire qu’il n’en a pas, elle le harcèle et l’embarque chez elle, lui racontant ses relations compliquées, ses problèmes de petite fille riche et incomprise…avant de lui demander gentiment de la violer. Mais comme d’habitude, Joe n’arrive pas à durcir. On le retrouve alors plus tard, cambriolant l’appartement d’un jeune couple aisé. Pas de chance : il tombe sur la propriétaire, Jane (Jane Forth). La situation devient complètement improbable, Jane se moquant du fait qu’il n’y a rien de bien intéressant à voler chez elle et décidant de présenter Joe à son mari. Le couple semble avoir les idées mal placées, encourageant Joe à prendre un bain chez eux et demandant à le voir en train de se piquer…Alors qu’il semble proche de l’overdose, ils le jettent dehors à poil.
Joe finira par retourner chez lui aux côtés d’Holly. Cette dernière a entre temps trouvé une nouvelle lubie : elle veut adopter le bébé de sa sœur (une fille aussi fucked up qu’elle qui ne sait même pas qui est le père et qui est tombée enceinte lors d’un « bad trip ») afin de toucher une allocation. Mais la sœur chauffant Joe, les choses dérapent. Finalement, le faux couple demande une allocation en faisant croire qu’Holly est enceinte mais l’inspecteur est bizarre et exige d’obtenir les chaussures d’Holly pour autoriser l’attribution. Ce que refuse Holly…Retour à la case départ.
Deuxième volet de la Trilogie Morrissey, Trash porte bien son nom. Alors que dans Flesh les parenthèses rigolotes voire tendres ne manquaient pas, ici on plonge définitivement dans le New York Underground avec ses laissés pour compte, ses junkies, ses freaks. Certaines scènes durant lesquelles Joe Dallesandro se pique sont tout bonnement insupportables. On fait difficilement plus frontal. Paul Morrissey nous entraine avec lui dans la crasse mais ne perd pas pour autant son mordant, loin de là. Les rencontres et les situations absurdes s’enchainent à vitesse grand V et on ne peut s’empêcher d’exploser de rire à de multiples reprises. Mais on rit plutôt jaune face au désespoir dont témoigne Joe, jeune homme assez fantomatique, corps qui ne fonctionne plus, à moitié inconscient, là sans être là. Il ne pense qu’à se shooter, est prêt à tout pour cela et pour le reste : tout peut arriver, il ne semble plus sensible à grand chose.
Le Trash du film pourrait désigner le côté trash de ce quotidien, sans artifices, filmé avec une grande précision relevant du documentaire. Mais ce « Trash » c’est surtout les poubelles, les ordures. Les marginaux sont bel et bien considérés par la société comme des jouets ou des déchets. Holly récupère ce que les gens jettent ; la go go danceuse est comme tenue en cage par son riche amant ; le couple aisé que Joe cambriole le pousse à s’exhiber lors de sa défonce, profitant de son égarement, le savourant comme un spectacle ; l’inspecteur des allocations n’hésite pas à faire des propositions incongrues…
Parfois les rapports de force s’inversent, comme lorsqu’Holly abuse de ce jeune riche attiré par les groupes de rock et la défonce pour être cool. Mais globalement, nos marginaux ne sont que des corps, des objets qui divertissent et qui finissent aux oubliettes. Tout cela nous amène un peu à culpabiliser en tant que spectateur, savourant nous-mêmes le spectacle tragi-comique, le freak show qui nous est offert. Impossible de décrocher, tout est ici bel et bien fascinant, aussi terrorisant qu’attachant. Le coup de poing de la trilogie.
Film sorti en 1970 / Disponible en DVD