CINEMA
AFFREUX, SALES ET MÉCHANTS de Ettore Scola : haine familiale
Dans un bidonville, à Rome, Giacinto (Nino Manfredi) vit avec sa femme, ses enfants et bien d’autres membres de sa famille. Tous squattent ce taudis et gardent un œil sur le pactole gardé par l’homme. Ce dernier refuse en effet de le partager et compte bien mourir avec. Pas question de faire profiter sa famille de cet argent, eux qui vivent chez lui comme des parasites. Ettore Scola nous emmène dans le quotidien assez absurde de ces pauvres gens qui luttent pour survivre et passent leur temps à s’entretuer. La révolte atteint son apogée alors que Giacinto rencontre une nouvelle femme, Iside (Maria Luisa Santella), et qu’il dépense avec elle sans compter. Les membres de la famille planifient ainsi son assassinat afin de lui voler une bonne fois pour toute le million de lires dont il dispose…
S’ouvrant sur un prodigieux plan séquence, Affreux, sales et méchants est une plongée sans concession dans une Italie des laissés pour compte. Tout le monde essaie de s’en sortir, gagne sa vie en se prostituant ou en faisant du trafic, tandis que le chef de famille refuse de tendre sa main. L’argent qu’il a, il l’a gagné suite à un incident qui aura eu raison de son œil. L’assurance l’a dédommagé et il semble en être incroyablement fier. Qui a le plus tort dans ce bordel ? Certes Giacinto a raison quand il considère les siens comme des parasites. Mais contrairement à ce qu’il clame, ces derniers travaillent et participent à l’entretien du bidonville. Cette famille qu’il méprise, pourquoi ne la quitte-t-il pas d’ailleurs ? Avec son million, il pourrait bien déménager.
Portrait d’une haine familiale sans limite, entre violence morale et physique, mêlée à un amour sourd, ce long-métrage culte accumule les provocations. On voit des femmes humiliées et/ou violées , les personnages ont pour la majorité un physique disgracieux et mangent comme des porcs, l’individualisme et le désir de consommation (cf. le rêve de Giacinto) semblent primer sur tout. Amoral, le long-métrage est aussi et surtout diablement jouissif de par ses situations improbables, ses dialogues percutants et sa vulgarité érigée en poésie moderne.
Si tous les personnages évoluent dans la plus grande misère du monde, le réalisateur parvient à livrer des plans assez magnifiques, tirant le meilleur de décors quasi apocalyptiques. Ettore Scola serait-il sadique, fasciné par la monstruosité de chacun ? Son Affreux, sales et méchants témoigne en tout cas d’une irrépressible envie de filmer une famille alternative, de rendre attachantes les pires crapules, d’instaurer un certain onirisme au milieu du plus grand chaos social. Au final, le film nous montre que quoi qu’il arrive on ne liquide pas comme on veut sa famille. On se quitte sur le paradoxe de haine et de dépendance de Giacinto aux siens. Voici une comédie noire, qui ose tout et pour le coup s’avère extrêmement jubilatoire.
Film sorti en 1976. Disponible en DVD et VOD