FICTIONS LGBT
LES GARÇONS DE LA BANDE (The boys in the band) de William Friedkin : déplaisant miroir
Alors qu’il est en train de se préparer pour la soirée qu’il donne à l’occasion de l’anniversaire de son ami Harold (Leonard Frey), Michael (Kenneth Nelson), trentenaire gay, voit débarquer plus tôt que prévu chez lui son ami Donald (Frederick Combs) qui a besoin de parler puisque son psy vient d’annuler sa séance. Puis le téléphone sonne et c’est Alan (Peter White), ancien camarade de chambre et ami hétéro en visite en ville, qui demande à passer. Michael essaie d’esquiver le rendez-vous mais Alan se met à pleurer à l’autre bout du fil alors qu’il fait d’habitude toujours bonne figure. Michael finit donc par l’inviter mais il décline.
Les invités, tous gays, arrivent : le très survolté Emory (Cliff Gorman), le couple en crise Larry (Keith Prentice) et Hank (Laurence Luckinbill), le souriant Bernard (Reuben Greene) ainsi que « Cowboy Tex » (Robert La Tourneaux), jeune escort engagé par Emery en guise de cadeau pour Harold. Ce dernier se fait attendre, ce qui ne manque pas d’agacer Michael, hôte de la soirée un poil stressé. La soirée débute tout de même agréablement: les conversations fusent. Puis soudain arrive par surprise l’hétéro Alan. Michael fait de son mieux pour qu’il ne réalise pas que tous ses amis sont homos.
Mais rapidement Alan va comprendre qu’il n’est pas dans une soirée comme les autres et qu’il ne connaît pas autant qu’il le pensait son ami Michael. Entre remarques maladroites voire carrément blessantes, altercation musclée avec Emery dont le côté outrancier l’insupporte, Alan fait prendre à la fête une tournure plus sombre. Et alors qu’Harold débarque enfin, les langues se délient et tout le monde se cherche des noises, règle ses comptes, se malmène…
Adaptation de la pièce à succès The boys in the band, Les garçons de la bande est un bel exemple de transposition réussie des planches au grand écran. William Friedkin garde le rythme intense des répliques, des altercations entre les différents protagonistes et parvient à s’attarder sur chacun d’eux, gérant avec une maîtrise impressionnante un huis clos en appartement où tout semble aller très vite et où une réplique suffit pour passer du rire au malaise total. Le film est assez exigeant de par son débit de parole chargé et très rapide qui lui donne des allures de tornade. Et c’est une tornade intime qui va renverser chacun des personnages. La présence de l’intrus hétéro Alan va amener les garçons à remettre en perspective leur vie, leur désir d’intégration dans la société, délier les langues.
A la fois drôle et cruel dans ses dialogues, le long-métrage dresse un portrait sans concession d’une bande d’amis gays de l’Upper East Side. Et à travers les questionnements et les failles de chacun, c’est une grande partie de la communauté gay qui est dépeinte. La difficulté de composer avec le fait de vieillir (et l’horrible sensation ,quand on est homo, d’être déjà vieux une fois qu’on a plus de 30 ans), la difficulté à joindre les deux bouts alors que d’autres amis s’en sortent mieux, des problèmes de boisson, des vies sentimentales en berne, la question de la fidélité dans le couple…
Le personnage d’Alan, hétéro propre sur lui, renvoie à Michael et ses amis un miroir dont ils se seraient bien passé. Désireux de s’assumer, d’à la fois se démarquer des normes hétérosexuelles tout en n’ayant pas envie d’être exclu pour autant, perçu comme un pestiféré… Alors que la nuit tombe, qu’une violente averse fait rentrer tout le monde à l’intérieur, le climat est définitivement orageux. Gardant toute ses frustrations pour lui depuis un moment, Michael finit par éclater, poussant ses invités à participer à un jeu visant clairement à les mettre mal à l’aise. Les sourires s’estompent, les tourments remontent à la surface.
Tranche de vie délicieusement bien écrite, bien plus sombre et torturée que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre, Les garçons de la bande relate aussi bien de la difficulté d’être gay que plus généralement d’être soi-même, sans se cacher derrière les apparences. Certains ressortiront de l’appartement abattus, d’autres plus forts (les passages avec le couple de Larry et Hank constituent l’une des grandes réussites du film), rien ne sera plus pareil à moins que tout le monde ne continue de se voiler la face…
Mettant toute une bande face à ses faiblesses, ses paradoxes, son hypocrisie, le projet ne prend pas de pincettes pour décrire le quotidien de ces gays des beaux quartiers. Entre violence des mots et déclarations à demi-mots, Les garçons de la bande se révèle aussi piquant qu’attachant.
Film sorti en 1970 et disponible en DVD