CINEMA
DU SILENCE ET DES OMBRES de Robert Mulligan : désillusions et justice
Une petite ville d’Alabama, période de Grande Dépression. Atticus Finch (Gregory Peck), avocat rigoureux, élève seul ses deux enfants, Jem (Phillip Alford) et Scout (Mary Badham). La maman est morte il y a quelques années. Les deux bambins passent leur temps à jouer et se font un nouvel ami pendant l’été. Si l’insouciance règne, les peurs enfantines sont pourtant bien là : Scout et Jem sont particulièrement effrayés par un curieux voisin prénommé Boo qui, parait-il, est fou et capable de tuer des êtres innocents. Parfois, le frère et la sœur jouent à se faire peur, trainant près de la maison du maniaque.
Les beaux jours s’achèvent et vient le moment de la rentrée des classes. Scout va aller pour la première fois à l’école. Pendant ce temps, le père de famille, Atticus, se retrouve chargé d’une affaire délicate : s’occuper de la défense d’un homme noir accusé d’avoir violé une des filles du coin. L’homme est innocent mais le racisme des habitants de la bourgade est en marche…
Adapté de l’œuvre d’Harper Lee, couronné de plusieurs oscars au moment de sa sortie, Du silence et des ombres est un beau film classique à (re)découvrir. Surtout pour sa brillante première partie qui se focalise sur les deux enfants, Scout et Jem. On partage avec eux leurs jeux, leurs peurs, on retrouve notre insouciance. Les dialogues sont magnifiques, le travail sur la lumière aussi, passant merveilleusement des atmosphères ensoleillées des jeux l’après-midi aux doutes, questionnements et ombres terrifiantes de la nuit. Le film est avant tout une histoire de désillusions. La désillusion de l’avocat Atticus qui va se retrouver face à une société particulièrement raciste et injuste mais aussi et surtout la désillusion des enfants qui vont devoir laisser prématurément leur naïveté au placard.
Il faut grandir un jour, on ne peut pas jouer toute sa vie. Premier jour de classe, la petite Scout doit laisser de côté sa salopette pour mettre une robe de petite fille. Un fait anodin mais visiblement vécu dans la douleur. Et vient le quotidien de l’école, la cour de récré, les autres enfants avec qui on n’a pas choisi de passer du temps et qui nous embêtent, qui colportent des rumeurs, qui provoquent. On découvre la cruauté des autres, la gratuité d’une certaine violence, le rejet de la différence. Les enfants vont progressivement comprendre la chance qu’ils ont d’avoir un père bienveillant, intelligent, pas forcément un héros mais un homme bon.
Le titre original de l’œuvre est plus éloquent : To kill a Mockingbird. Titre qui fait référence à une conversation entre Atticus et ses enfants. Il leur explique qu’un jour il a tiré sur un oiseau moqueur. Mais il ne faut pas tuer les oiseaux moqueurs car ils n’auraient comme vocation que de chanter pour le plaisir des autres. Tout le long-métrage tourne autour de ce sujet, de cette difficulté à épargner les plus faibles, à ne pas blesser un innocent. Difficile de faire face à la bêtise de certaines personnes qui jugent et condamnent sur des à priori. Pas toujours évident de garder ses pulsions de violence. Robert Mulligan délivre une habile réflexion entre le Bien et le Mal. Il y a toujours un moment où pour protéger les siens, on peut faire quelque chose d’injuste, de mal. Exemple parlant : un chien enragé au bout de la rue. Un pauvre chien qui n’a rien demandé mais qui constitue un danger. On l’abat. La scène est forte car les enfants voient alors leur père comme un héros pour la première fois. Mais elle est aussi terrible. Plus tard d’autres morts (humaines cette fois) surviendront et révèleront les parts d’ombres, les faiblesses de chacun.
Très beau film, avec un beau jeu sur les ombres comme pouvait le laisser présager le titre français. Un peu académique et long par moments. Mais les thématiques exposées, la finesse de l’écriture et un casting (adultes comme enfants) éblouissant en font une véritable réussite et une œuvre bien moins lisse que ce à quoi on pouvait s’attendre.
Film sorti en 1963. Disponible en DVD