FICTIONS LGBT
LA VIE D’ADÈLE de Abdellatif Kechiche : la passion d’une fille ordinaire
Lille. Adèle (Adèle Exarchopoulos) est une adolescente ordinaire de 15 ans. Elle a sa bande de copines qui se plaisent à jaser et à tout se raconter sur les garçons, elle commence à se passionner pour la littérature suite à la lecture de La vie de Marianne de Marivaux, elle se laisse tourner autour par Thomas (Jérémie Laheurte), un des beaux mecs du bahut… Mais quelque chose détonne. Alors qu’elle commence à sortir avec lui, Adèle ne s’attache pas, ne se sent pas amoureuse, même si elle essaie. Elle ne peut cependant s’empêcher de repenser à une inconnue aux cheveux bleus qu’elle a croisé dans la rue. C’est à cette dernière qu’elle pense quand elle s’abandonne seule dans son lit, cédant à l’excitation.
Après avoir rompu avec Thomas, Adèle se laisse séduire par une de ses copines mais fait fausse route. Ne sachant plus trop qui elle est, ce que lui dicte son cœur ou ses pulsions, la jeune fille se rend dans un bar lesbien. C’est là que vient l’accoster la fameuse fille aux cheveux bleus, qui répond au nom d’Emma (Léa Seydoux). Elles se plaisent mais Emma est déjà en couple. Après avoir fait connaissance, elles passent pourtant à l’acte et débute une grande histoire d’amour, le tout premier d’Adèle qui va passer de l’adolescence à l’âge adulte. Passion, désir mais aussi remises en question, doutes, déclin : portrait d’une amoureuse.
Palme d’or au Festival de Cannes 2013, La vie d’adèle, adaptation libre de la BD de Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude, a suscité dès sa première projection sur la Croisette un enthousiasme rare. Nouveau coup de maître pour Abdellatif Kéchiche qui révèle encore une fois une actrice merveilleuse, ici Adèle Exachropoulos (et confirme tout le bien que l’on pouvait déjà penser de Léa Seydoux). Dès les premières minutes, on est totalement dans l’empathie. On est au plus près d’Adèle, adolescente belle sans trop le savoir, petit bout de femme en devenir. On se sent intégré à chaque conversation, on partage toute son intimité, ses doutes, on vit avec elle, entre des repas familiaux autour d’un plat de spaghettis ou des premiers pas hésitants dans une vie sentimentale plus compliquée que ce à quoi la jeune fille aurait pu s’attendre.
C’est un film très intense sur la découverte de son identité, qui avec beaucoup de délicatesse montre comme il peut être déroutant pour un ou une ado de réaliser subitement que la personne qui l’attire est une personne du même sexe. Incursion dans un bar lesbien où l’on ne prend pas de gants, découverte d’une sexualité dont on avait à peine eu vent, petits mensonges pour ne pas faire flipper les parents ou les camarades de classe… C’est aussi un film sur le désir, la passion charnelle, avec des scènes assez crues (qui interpellent la première fois puis qui se font tout ce qu’il y a de plus naturel ensuite). Mais c’est surtout un film sur le premier amour.
Le réalisateur nous montre la beauté et la terrible désillusion que constituent les premiers émois. C’est le pauvre Thomas qui en fait d’abord les frais, faisant tout pour maladroitement séduire Adèle et finissant en larmes, abandonné car le courant n’est pas passé. Puis Adèle en prend aussi pour son grade, s’égarant avec une de ses bonnes copines. Mais pour elle, le premier grand amour ce sera Emma, pour laquelle elle a eu un coup de foudre au beau milieu de la rue. Une fille qui sort du lot avec ses cheveux bleus, lesbienne assumée et charismatique, étudiante aux Beaux-arts qui représente à elle seule un nouveau monde, plus adulte. Emma va devenir passion et obsession, le bleu de ses cheveux se retrouvant un peu partout dans le métrage, indélébile.
On avance et on trébuche aux côtés d’Adèle qui passe du statut d’ado sans histoire de la classe moyenne à celui de fille amoureuse d’une autre fille, d’un milieu plus aisé, appartenant aussi bien à une certaine marge (celle de « la communauté lesbienne ») qu’à un certain milieu (celui des artistes où il ne fait pas toujours bon d’être juste quelqu’un de « normal »). La question de la normalité revient souvent. Si elle n’a aucun doute sur son amour dévorant pour Emma, Adèle ne parvient pas toujours à l’assumer auprès de ses amis et de sa famille, et plus tard auprès de ses collègues de travail. Emma tente de la pousser à écrire mais elle tient à suivre la voie plus tranquille qu’elle a choisi. Alors qu’elle joue ponctuellement la muse pour sa bien aimée, Adèle travaille comme institutrice, bien ancrée dans le réel. Petit à petit sa vie ordinaire va avoir du mal à se synchroniser à celle d’Emma, artiste dont la cote monte sérieusement. Les hommes rodent et avec eux la tentation. La tentation de faire comme tout le monde, de mettre en danger ce que l’on a de plus précieux…
Si Abdelattif Kéchiche aurait pu nous épargner quelques petites blagues douteuses (notamment une dégustation de moules !), il signe avec La vie d’Adèle une œuvre très dense et intime, souvent bouleversante. Une histoire d’amour, une quête de soi comme on n’en avait plus vu depuis un bon moment sur les écrans. Les deux actrices principales sont pour beaucoup dans la réussite de l’ensemble, parfaitement dirigées, complètement en phase avec leur personnage. Tout sonne juste, tout paraît plus vrai que vrai. C’est un bout de vie qui se présente à nous et on a l’impression que c’est un peu le notre. Puissant et émouvant, ce film d’amour universel résonne. Après trois heures de métrage, qui passent incroyablement vite, on en ressort sonné. Un des plus beaux films à thématique lesbienne de la décennie 2010.
Film sorti en 2013 et disponible en DVD et VOD