CINEMA
LES APPARENCES de Marc Fitoussi : ne rien lâcher
Réalisateur éclectique, Marc Fitoussi s’essaie au drame teinté de thriller « façon Chabrol » avec Les apparences. Entre virtuosité et plaisir coupable, l’oeuvre est surtout un bel écrin pour Karin Viard, démente en bourgeoise vengeresse.
Vienne. Eve (Karin Viard) est l’épouse du grand chef d’orchestre Henri Monlibert (Benjamin Biolay). Elle se réjouit alors que le contrat à l’Opéra de ce dernier est reconduit. Femme dévouée à son mari, Eve jouit de son statut bourgeois et privilégié, aime jouer au couple parfait dans les diners mondains organisés entre francophones aisés de la ville. Toujours parfaitement coiffée et habillée, très attachée à son prestige et aux apparences, elle supervise également la Médiathèque Française de la ville.
Et si cette vie de rêve n’était qu’un leurre ? Un soir, Eve surprend son mari qui s’est isolé pour passer un coup de fil qu’il tient visiblement à tenir secret. Les jours qui suivent, les pistes s’accumulent et Eve est bien obligée d’arriver à la conclusion qu’Henri la trompe. Elle découvre qu’il entretient depuis un moment une liaison avec Tina (Laetitia Dosch) qui n’est autre que la maîtresse d’école de leur fils.
Progressivement, la femme trahie va se révéler être prête à tout pour sauver son couple. Mais elle a commis une erreur : lors d’un moment de faiblesse, elle s’était furtivement abandonnée dans les bras d’un jeune et séduisant garçon, Jonas (Lucas Englander), qui va la pourchasser. Le temps de quelques semaines, ce carré sentimental et obsessionnel va causer de nombreux dégâts…
Adaptation d’un livre de Karin Alvtegen, Les apparences est une belle incursion de Marc Fitoussi dans le genre du drame bourgeois aux accents de thriller. Sa mise en scène feutrée et élégante ne manque pas de souffle et l’intensité est décuplée par une très belle bande-originale signée Bertrand Burgalat.
La première partie du film est franchement virtuose et jouissive. On entre dans le monde plein de faux-semblants d’Eve. Même son prénom est faux : elle l’a raccourci pour faire plus chic, elle qui renie sans même plus vraiment s’en cacher ses origines modestes (sa mère lui fait à moitié honte, elle ne veut vivre que dans sa bulle dorée). Se plaisant à en faire des tonnes, à jouer à la femme bourgeoise et mondaine, traitant avec mépris en compagnie de sa copine Clémence (Pascale Arbillot) le petit personnel, Eve pourrait être franchement détestable. Mais quelque chose nous accroche, nous touche en elle. Peut-être ce ne je ne sais quoi au-delà des mots et des postures qui laisse entrevoir une vulnérabilité cachée, la peur constante de ne pas appartenir à ce monde privilégie ou de risquer d’en être exclu. C’est un personnage féminin très fort qui passe par tous les états (diva, grinçante, snob, touchante, vulnérable, forte…). Karin Viard a l’air de s’éclater dans son interprétation et le plaisir est communicatif. Marc Fitoussi a lui aussi l’air de prendre son pied en suivant le parcours vengeur de cette femme trompée qui n’est pas du genre à rester les bras croisés.
Le thème de la possession est au centre du métrage. La possession matérielle qui est très importante pour Eve qui ne peut envisager de perdre le standing de son quotidien. Mais bien sûr aussi et surtout la possession sentimentale. Elle veut garder SON mari tandis que la maîtresse, Tina, aimerait l’avoir tout autant pour elle seule. Ce besoin de posséder l’autre peut amener au pire et Eve va multiplier les manigances pour arriver à ses fins. De victime, elle passe au statut de bourreau, s’acharnant à vouloir détruire Tina. L’ironie est qu’Eve va elle-même devenir la cible des obsessions d’un jeune homme fortement perturbé qui va se mettre à la pourchasser.
La deuxième partie du long-métrage s’éparpille un peu et se révèle moins aboutie, sans doute à cause de nombreux retournements de situation condensés qui nous éloignent du thriller intime léché pour nous emporter vers un caractère plus « soap opera ». Il y a deux trois fautes de goût mais étrangement cela contribue au côté jubilatoire de la chose. L’ensemble ressemble un peu à une grande maison de poupées sadique où les passions et les vengeances se révèlent particulièrement savoureuses. Alors que le générique de fin approche, il y a la sentence du « tout ça pour ça » qui met en lumière la vacuité d’Eve qui se bat pour une vie qui ne lui correspond peut-être pas si bien qu’elle ne le pense.
Jalousie, soif de possession et folie se mélangent dans ce puzzle sentimental et tordu. Karin Viard, Benjamin Biolay, Laetitia Dosch et Lucas Englander sont excellents (tout comme les seconds rôles campés par Pascale Arbillot et Evelyne Buyle). Ne choisissant pas vraiment entre la maîtrise d’un Hitchcock ou Chabrol et le côté guilty pleasure d’un Adrian Lyne, Marc Fitoussi brouille un peu les pistes mais assure bel et bien le divertissement jusqu’au bout.
Film sorti au cinéma le 23 septembre 2020