FICTIONS LGBT

SCÈNES DE CHASSE EN BAVIÈRE de Peter Fleischmann : intolérance maximale

By  | 

Un village paumé en Bavière. Des paysans et des bouchers. Rien à faire si ce n’est commérer sur les autres habitants du coin : une telle refait déjà sa vie alors que la période de deuil n’est même pas finie, une autre est une fille facile…Et puis voilà que le jeune mécanicien Abram (Martin Sperr) revient dans le paysage après une mystérieuse absence. C’est peu dire qu’il n’est pas accueilli à bras ouvert.

D’abord on raconte qu’il a probablement fait de la prison et puis voilà qu’une autre rumeur fait son apparition : Abram aimerait coucher avec des hommes. Il n’en faut pas plus pour que le jeune homme soit l’objet de toutes les railleries et humiliations. Il reste là sans rien dire, face à la bêtise qui l’entoure. Mais ce qui n’aurait pu être qu’une banale chamaillerie va progressivement se muer en enfer. Bienvenue dans l’Allemagne profonde de la fin des années 1960 où l’intolérance trouve son degré maximal.

scènes de chasse en bavière film

Scènes de chasse en Bavière est de ces voyages cinématographiques que l’on n’oublie pas. Noir et blanc classique, réalisation frontale : bienvenue en enfer ! Comme le disait bien Sartres : « L’enfer, c’est les autres ». Les habitants du bled paumé filmé témoignent d’une intolérance sans limite. Au début on se dit qu’ils ne font que taquiner, qu’ils commèrent pour s’occuper, sans grande méchanceté. Et puis les critiques acides fusent de partout, on se met alors à rire, gênés face à la cruauté des uns et des autres. Et au final on est juste assommés par le mépris de ces gens face à toute différence potentielle. Le personnage d’Abram va subir une véritable torture psychologique, tout cela à cause de banales rumeurs totalement infondées. Refusant de se justifier à la communauté, il creusera peu à peu sa tombe. Seul contre tous ? Ce n’est pas chez sa mère en tout cas qu’il trouvera du réconfort. La vieille semble indifférente , voire pire, embarrassée du retour de son fils. Et elle aura vite fait de clamer qu’elle est « juste sa mère », qu’elle n’est pas comme lui, qu’elle ne veut pas être associée à lui.

Il n’y a finalement qu’une personne sur qui Abram pourrait compter. C’est Hannelor (Angela Winkler), la fille facile du village. Une femme malmenée par les hommes. Il faut voir ces beaufs la forcer à boire pour mieux lui sauter dessus à la moindre occasion. Parmi ses nombreux amants, il y avait Abram et la belle dit être enceinte de lui. Tout le long du film, elle cherchera à le lui annoncer, en espérant qu’il prendra ses responsabilités. Malgré toutes les rumeurs, elle court toujours après lui. Mais il ne veut pas la voir, la rejette. On a d’abord l’impression que le réalisateur Peter Fleischmann prend parti en faveur des marginaux du village : la veuve qui refait sa vie, l’homosexuel, la fille facile. Mais ce n’est qu’un leurre : il n’y en a pas un pour rattraper les autres. Au lieu de s’entraider, les marginaux se rejettent entre eux, renvoyant chacun à une terrible solitude. Quand l’un essaie de faire un pas vers l’autre, c’est forcément pour se prendre une claque magistrale.

Pire, ce qu’on prend pour des rumeurs s’avère être fondé au bout du compte. Hannelor accepte bien de coucher avec le premier venu, parfois pour de l’argent. Le nouveau compagnon de la veuve ne semble en effet n’en vouloir qu’à son argent. Et même Abram, que l’on serait bien tentés de plaindre, se retrouve à draguer un adolescent débile mental (qui au passage est peut-être le seul personnage vraiment pur de l’histoire) ! Ce long-métrage sans concession dresse donc un portrait terrifiant de l’être humain. Par moments on a l’impression d’assister à un cauchemar éveillé rythmé par les rires gras ou stridents des villageois. Ces derniers sont immondes, grotesques, font la morale et agissent comme des bêtes.

C’est bien un regard bestial sur l’Homme qui est ici exposé. On attaque, on dévore le plus faible. Le film est ponctué de rituels (une messe, un repas, les arrivées et départs des bus…). Les ragots en font bien sur partie : nul doute qu’après Abram on trouvera une nouvelle victime à se mettre sous la dent. Il y a un passage très réaliste et monstrueux où les bouchers saignent un cochon et partagent avec bonheur sa cervelle. Quelques scènes plus tard, ils iront chasser Abram comme un porc. Le spectacle fait froid dans le dos, on rit souvent jaune face à tout ce venin, ces esprits haineux, étriqués. Tout ce que l’on voit, c’est le Mal. Des villageois freaks qui ne s’arrêtent jamais, guidés par la haine de la différence. Un spectacle aussi atypique et culotté qu’effrayant, métaphore au final des ténèbres des extrêmes.

Film produit en 1968 et disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3