CINEMA
NUIT D’ÉTÉ EN VILLE de Michel Deville : se mettre à nu
Emilie (Marie Trintignant) et Louis (Jean-Hugues Anglade) se sont rencontrés à un dîner et ont décidé de finir la soirée chez la jeune femme. Nus au lit, ils se mettent à converser. C’est une rencontre pas comme les autres qui est en train de se déployer sous nos yeux : le temps d’une nuit, ils vont tout se dire, jouer, se raconter des histoires, rêver, se projeter, s’affronter. Feront-ils l’amour ? Restera-t-il dormir ? Vont-ils tomber amoureux ?
Beau duel sentimental que ce film assez méconnu de Michel Deville. Si les allergiques au cinéma français intimiste sont invités à passer leur tour, les amateurs se délecteront de ce face à face à la fois sensible et érotique entre Marie Trintignant et Jean-Hugues Anglade. On découvre Emilie et Louis nus au lit, la situation est ordinaire mais leur façon de se parler nettement moins. Ils parlent à cœur ouvert, comme on ne le fait que trop rarement dans la vraie vie. Répliques piquantes, texte sublime et délicieux comme un beau poème : les deux acteurs trouvent là une partition exceptionnelle qui leur permet de dévoiler tout leur talent et leur vulnérabilité à la caméra. Ils se mettent à poil dans tous les sens du terme. On a l’impression de naviguer dans un pur fantasme de romance, de cinéma, parfaitement chorégraphié. L’action se passe en huis clos, dans l’appartement d’Emilie, avec ses volets fermés, les bruits de la rue qui surgissent épisodiquement, de la musique classique que l’on joue selon l’humeur… S’il n’y a qu’un seul lieu, le terrain de jeu semble immense pour les deux personnages qui vont en explorer progressivement chaque recoin tout en dévoilant des souvenirs ou des traits de leur personnalité.
En une nuit, on peut parfois partager plus avec une personne que n’importe quelle autre durant toute sa vie. Pris de désir, en plein fantasme romantique, on se livre, on se cherche, on se caresse ou on se pique. Emilie et Louis ont envie l’un de l’autre (certaines scènes sont d’un érotisme des plus troublants, jouant habilement avec les mots et les sensations) mais se délectent surtout de leur petit jeu qui les amène à résister, à se tourner autour, poursuivant une lutte dont tout le monde ignore et espère en même temps la finalité. En se parlant, en inventant, en se racontant, ils dessinent leur propre portrait, tour à tour brut, romancé, direct ou fuyant. Plaisir de trouver quelqu’un qui a de la répartie, avec qui jouer, quelqu’un qui vous cerne instantanément. Délice et douleur. Souvenirs d’enfance, questions de l’instant, suppositions entre amusement et peur sur le futur : outre le thème de la rencontre amoureuse, le film de Michel Deville parle ni plus ni moins de la vie, de la relation aux autres, la place dans le monde, l’étrangeté des sentiments…
Marie Trintignant et Jean-Hugues Anglade cabotinent un peu et on adore ça ! Ils sont à la fois très proches de nous, touchent des points sensibles, ravivent des souvenirs personnels et complètement ailleurs, merveilleusement fictifs. Leurs regards, leurs sourires, leurs caresses, leur amusement et leur vulnérabilité font de cette nuit un moment hors du temps, laissant une trace indélébile.
Film sorti en 1990 et disponible en DVD