À DEMI MOTS de Diemo Kemmesies : gênés

Berlin. Marlo (Martin Bauchmann) retrouve l’une de ses amies chez qui il compte s’installer quelques temps. C’est un garçon un brin secret, qui a tendance à trop réfléchir (il connaît, par exemple, par cœur tout un tas de statistiques déprimantes). Alors qu’il se balade dans la ville, il croise le regard d’un bel inconnu, Kirill (Josef Mattes). Leurs mains se frôlent, puis ils continuent leur route, chacun de leur côté.

Plus tard, Marlo le recroise et ose l’aborder. Il est indéniablement attiré par lui, sans même avoir échangé le moindre mot, mais ne sait pas si ce sentiment soudain est réciproque. Ils entament une marche à deux. Au fil de la conversation, les deux garçons se sondent. Kirill révèle qu’il est depuis quelques mois le père d’un petit garçon, qu’il ne voit qu’épisodiquement. Il n’est à l’évidence plus avec sa copine qui juge qu’il ne représente pas ce qu’elle attend d’un homme.

Une question est lancée, l’air de rien : « Tu as déjà eu une histoire avec un mec ? ». Marlo répond que non, Kirill laisse le silence faire planer l’ambiguïté. Après une journée passée ensemble, ils conviennent de se revoir le lendemain. Marlo laisse son numéro. L’attente d’un nouveau signe, la peur qu’il n’y en ait pas. Puis un nouveau rendez-vous, des situations inattendues, un désir qui n’en finit plus de croître…

Deuxième long-métrage du réalisateur Diemo Kemmesies, A demi-mots (Titre international : Silent Youth) met en scène une rencontre de hasard dans la rue entre deux très jolis garçons, âgés d’une vingtaine d’années. Malgré cet âge et le fait que l’action ait lieu de nos jours dans une ville ouverte comme Berlin, les deux personnages n’ont pas encore fait leur coming out. Marlo n’a d’ailleurs, d’après ce qu’il laisse entendre, jamais rien vécu avec un autre garçon. C’est peut-être pour cela que nos deux amis agissent comme des adolescents, tournant autour du pot, se lançant des regards timides, chargés en non-dits. C’est sans aucun doute pour Marlo que la situation est la plus difficile. Il se retrouve face à un inconnu qui lui plaît dès le premier regard et qu’il désire de plus en plus alors qu’ils font connaissance. Mais Kirill, lui aussi visiblement gêné, ne fait absolument rien pour le mettre à l’aise. Bien au contraire. Il lui demande pourquoi il le regarde bizarrement, lui raconte qu’il a un petit garçon, laisse entendre qu’il est hétéro tout en étant pourtant très ambigu… Difficile de savoir s’il est possible de faire le premier pas, quand sera le bon moment pour le faire, d’anticiper si cela ne produira pas une réaction déplaisante et douloureuse…

Nous sommes là devant un de ces films où deux personnages marchent, s’apprivoisent, se cherchent… Le scénario mise beaucoup sur les petits détails, laisse la mise en scène prendre beaucoup de place. Résultat : une œuvre très sensorielle, à la sensualité latente, où chaque regard, chaque geste et autre frôlement de main fait l’effet d’une claque. C’est donc typiquement le genre de film sentimental qui pourra agacer les impatients comme combler de joie les amoureux d’un cinéma contemplatif et romantique. Les deux comédiens sont absolument adorables et la tension qu’il y a entre eux se fait de plus en plus palpable au fil des plans. Le cœur bât la chamade, on se laisse plonger nous aussi dans ce moment, cette zone floue, où tout est à la fois possible et difficile à appréhender, où l’autre constitue un point d’interrogation autant qu’un objet d’affection et de désir.

Marlo et Kirill sont deux garçons à fleur de peau, hyper sensibles, qui ne communiquent pas facilement. S’il n’y a aucun doute qu’ils apprécient la compagnie l’un de l’autre dès les premières minutes, leurs motivations restent mystérieuses. Diemo Kemmesies tire le meilleur de ce mystère, un instant étrange qui donne lieu à bien des maladresses. Ces maladresses sont pour le spectateur autant une source de tension (on vibre avec les personnages) que d’amusement (on ne ferait pas le malin à leur place mais il faut dire que quand on les regarde, on les trouve assez drôles dans leur façon de ne pas arriver à se lancer, à piétiner…). Kirill osera-t-il se laisser aller ? Ne constitue-t-il pas une menace toxique pour Marlo ? Est-ce le début d’une passion, d’une obsession ou d’un bel amour entre deux marginaux qui trouvent enfin la personne qu’ils attendaient ?

A demi-mots est extrêmement tendre, restitue à merveille la magie et les hésitations des premières fois, dépasse le statut du film de coming out pour évoquer avec universalité et sensibilité la naissance du plus beau des sentiments. Une situation embarrassante avec un père dans une voiture, un moment de tendresse et de shampouinage dans la douche, un genou qui tremble, un câlin aux airs d’absolu. Très réussi formellement, tout en délicatesse, ce film pudique qui prend au cœur et au corps ravive sensations et souvenirs enfouis. Exaltant.

Film produit en 2012 et disponible en DVD et sur OutplayVOD