FICTIONS LGBT
BEAUTY (Skoonheid) de Oliver Hermanus : la prison du désir
Afrique du Sud, François (Deon Lotz) fait partie de la middle class blanche et mène une vie confortable. Marié, père de deux filles, c’est un homme un peu austère, discret, qui mène depuis quelques temps un dur combat : celui d’arrêter de boire. Le film s’ouvre alors que François reste statique lors d’une soirée de mariage, contemplant son « neveu » Christian, un jeune homme très séduisant, type cover boy latino.
C’est le début d’une obsession. Car si en société François est le premier à dénigrer les homosexuels, il se trouve qu’occasionnellement il se rend chez un ami qui organise des sauteries gays avec des mecs « ni folles, ni noirs » (sic). Homosexualité refoulée, quotidien partagé avec une femme pipelette avec laquelle il n’a ni rapports sexuels ni conversations de fond, François trouve un nouveau souffle dans son désir pour Christian.
Mais le jeune homme vit loin, il n’était venu que pour le mariage. Après une phase d’hésitation et de manque, François décide de partir dans sa ville pour se rapprocher de lui et mieux l’épier. Personne, y compris Christian, ne se rend compte de cette obsession grandissante. François pourra-t-il encore contenir longtemps son désir ? A-t-il une chance de l’assouvir ? Alors qu’un soir lui et l’objet de tous ses fantasmes se retrouvent seul, un tournant pourrait bien survenir…
Lauréat de la Queer Palm du Festival de Cannes 2011, Beauty est une œuvre radicale, puissante, profonde, qui dispose d’un personnage principal à la fois mystérieux, monstrueux et attendrissant. Que ceux qui craignaient une énième histoire de coming out avec pour seule originalité le « Made in South Africa » se rassurent. Malgré un départ assez attendu, des silences qui en disent long et un rythme relativement lent, c’est une œuvre surprenante, jamais là où on ne l’attend et témoignant d’une incroyable subtilité. Oliver Hermanus excelle dans l’art du non-dit et balade le spectateur , considéré comme intelligent, le laisse déduire les principaux tournants de l’intrigue.
Homme d’addiction fuyant son quotidien sinistre le temps d’un voyage nourri par l’espoir d’assouvir son fantasme ultime, François va s’exposer à ses propres limites et laisser ressortir des choses enfouies. Plus le film défile et plus il apparaît comme pathétique. Il se laisse étouffer par sa passion pour Christian dont il ne sait finalement que peu de choses. Il est soumis à cette beauté de la jeunesse, il peine à résister. Il faut bien avouer que Christian est un joli garçon : bronzé, bien fait, lisse, jeune premier. Mais on décèle aussi assez vite que c’est un garçon finalement très superficiel, aguicheur, qui ne pense qu’à lui, passant son temps sur les plages « où il faut être vu » espérant se faire des contacts, accéder à une certaine notoriété (à noter qu’il a deux objectifs de carrières professionnelles : d’un côté le but de devenir avocat / de l’autre des publicités et un désir de devenir modèle ou acteur).
Beauty est un parfait compromis de drame très personnel (avec des scènes quasi-documentaires comme cette surprenante orgie virile) et de fiction abstraite. Le portrait d’un homme en contradiction avec ce qu’il est et ce qu’il veut. On a la sensation qu’en courtisant Christian, François cherche à retrouver une jeunesse, une beauté, une liberté dont il est passé à côté. Sensation confirmée alors qu’il est en boîte de nuit et que son attention se porte sur une pâle copie de Christian, encore un jeunot…
L’obsession développée est aux yeux de François sexuelle. Mais ce qu’il n’admet pas, et que nous voyons de plus en plus clairement, c’est qu’il est question d’amour. Il a pour ce jeune homme une tendresse infinie. Il s’émeut presque aux larmes quand il le voit étreindre un autre jeune homme, il est admiratif de chacun de ses gestes, il veut le posséder, l’aider. Il y a une scène très forte : Christian ayant perdu son ipod, François a l’idée de lui en racheter un nouveau. Alors qu’il se dirige vers la plage avec son petit cadeau dans un sachet, l’homme se retrouve comme paralysé. Il y a un monde entre eux, ou plutôt une jeune fille qui accompagne l’objet du désir. François est comme paralysé et finit par céder à de viles pulsions.
Et justement, la frustration, l’incapacité de s’accepter tel qu’il est vont conduire François à agir comme un monstre. Ce qui donnera lieu à une scène choc, inattendue. Après cela plus rien ne pourra être comme avant.
Très habilement mis en scène, avec une psychologie de personnage complexe tout en étant brillamment elliptique, Beauty frappe un grand coup et s’achève de façon surprenante, sur une beauté que François n’osait même pas imaginer. Beauté à côté de laquelle il passe à nouveau à côté. Un homme prisonnier.
Film sorti en 2011 et disponible en VOD