CINEMA
LE SENS DE L’HUMOUR de Marilyne Canto : une femme en colère
Paris. Elise (Marilyne Canto) vit seule avec son petit garçon Léo (Samson Dajczman) âgé de dix ans, dont le père est mort. Depuis quelques temps, elle voit en toute discrétion Paul (Antoine Chappey) avec lequel elle entretient une liaison. Une liaison que Paul aimerait voir se transformer en quelque chose d’un peu plus officiel, plus sérieux. Face à un homme doux et épris d’elle, Elise a du mal à s’accorder une seconde chance d’aimer. Encore très affectée par la disparition de son époux, elle rejette non sans violence cet homme qui lui tend les bras. Chaque pas en avant qu’elle fait (l’inviter à déjeuner, le laisser dormir à la maison ou tisser de premiers liens avec son enfant) est suivi d’un pas en arrière.
Alors que Paul entrevoit ses limites, Elise va pourtant devoir faire des choix : pourra-t-elle s’autoriser à vivre dans le présent, composer avec le manque de son premier amour trop tôt disparu, ne pas culpabiliser de chercher encore à être heureuse ?
Premier long-métrage en tant que réalisatrice de l’actrice Marilyne Canto, Le sens de l’humour fait partie de ces films français qui misent beaucoup sur l’intime, les petites choses, des personnages à la psychologie très dense. Elise élève seule son enfant dans un bel appartement parisien. Les premières scènes sont plutôt tendres, lumineuses. Les choses se corsent quand des sentiments que l’héroïne ne contrôle pas vis à vis de son amant , Paul, bien accroché, la submergent. Perdue face à une multitude d’émotions contradictoires, cette conférencière du Louvre oscille entre sensibilité et agressivité, générosité et égoïsme, abandon à l’autre et froideur. Marilyne Canto prend le risque de dresser le portrait d’une femme complexe, en colère, pouvant parfois passer comme antipathique. Elle ne se donne pas le beau rôle et c’est ce qui fait le charme de ce film très délicat qui touche plus d’une fois droit au cœur.
Le titre du film peut surprendre tant ce que l’on voit n’est à priori pas particulièrement drôle (une femme qui se débat pour se reconstruire après un deuil, peinant à accepter l’amour d’un nouvel homme). Il émerge pourtant de vrais moments de comédie, joliment décalés. Comme lors d’une scène de brocante où Elise est tellement dure avec Paul, tellement désagréable, que l’on ne peut s’empêcher de sourire. Pour cet homme sensible, il faudra définitivement du recul, de l’humour, pour encaisser les coups et tenir bon afin de vivre enfin son amour au grand jour. Les stéréotypes du féminin et du masculin sont ici agréablement détournés (l’homme est plus démonstratif, fragile au premier regard alors que la femme est celle qui mène la danse, qui fait autorité… du moins jusqu’à ce que les masques tombent et qu’Elise se relâche un peu, acceptant d’enlever sa carapace). Il y a des passages vraiment poignants comme ce moment durant lequel Elise prend Paul dans ses bras. Il émane de l’écran une tendresse et une sensibilité précieuses.
Montrant un Paris du quotidien, jouant la carte du film intimiste, Le sens de l’humour aborde des sujets essentiels et forts (le deuil, l’absence, l’amour, la maternité) avec un regard singulier, un ton très particulier et personnel. Les trois acteurs sont magnifiques dans la peau de personnages pleins de nuances, l’écriture extrêmement subtile (la façon d’évoquer la mort, de suggérer que Paul et Elise s’étaient rencontrés alors que le mari de cette dernière était encore vivant par exemple…), la mise en scène sobre mais bien présente, jouant sur la force du mouvement. En toute modestie, Marilyne Canto parvient à procurer à son spectateur des émotions fortes. On ressort du film avec les larmes aux yeux… et l’envie de croquer la vie à pleines dents.
Film sorti le 26 février 2014 et disponible en VOD