FICTIONS LGBT
RESTER VERTICAL de Alain Guiraudie : imprévisibles
Léo (Damien Bonnard), réalisateur, est harcelé par son producteur pour rendre le scénario de son nouveau film. Mais les idées manquent, il cherche encore l’inspiration. Tout en demandant des avances, il s’aventure vers un grand causse de Lozère où il espère croiser des loups. C’est ainsi qu’il fait la rencontre d’une bergère, Marie (India Hair) avec laquelle il couche. Vivant seule avec ses enfants chez son père (Raphaël Thiéry), cette dernière s’attache vite à cet homme secret, doux et charnel et lui donne tout sans poser de questions.
Léo s’installe dans la ferme familiale, se sent apaisé. Cela ne l’empêche pas d’aller régulièrement en voiture vers un village où il a aperçu un jeune homme, Yoan (Basile Meilleurat), qui le trouble voire l’obsède. Yoan vit chez un vieil homme un peu malade, Marcel (Christian Bouillette), avec lequel il entretient une relation étrange et conflictuelle. Il refuse en permanence les avances de Léo, qui ne se décourage pourtant pas même s’il construit de plus en plus sa vie avec Marie, au point de lui faire un enfant.
Sentant que celui avec qui elle partage son quotidien se détache petit à petit, la bergère quitte un jour sur un coup de tête la ferme, le laissant seul avec son bébé. Sans attache si ce n’est ce nouveau né dont il ne se sépare plus, avec un scénario toujours en plan, Léo déambule, avance vers l’inconnu, flirte avec la pauvreté. Il se laisse dériver et va devenir le spectateur de sa vie et de celle des autres…
Après la claque que constituait L’inconnu du lac, le réalisateur Alain Guiraudie revient avec Rester Vertical davantage au style et thématiques de ses précédents longs-métrages. Le fait que le personnage principal soit un réalisateur laisse à penser qu’il s’agit là d’une forme, même éloignée et déformée, d’auto-portrait. Le moins que l’on puisse dire, est que le projet est singulier, jouant de façon réjouissante avec une trame narrative pleine de surprises, de situations inattendues et autres retournements improbables.
Alain Guiraudie réussit à la fois à montrer des choses réalistes du quotidien (sa façon, toujours très belle, de filmer l’intimité, tous les corps avec la même envie, y compris ceux qu’on ne voit quasiment jamais comme des objets érotisés au cinéma) et à laisser libre cours à son imagination, sans jamais avoir peur de ne pas être crédible. Le manège amoureux qui se déploie au fil du film peut paraitre complètement farfelu mais le cinéaste donne envie d’y croire et nous embarque dans des scènes tour à tour terribles, mélancoliques et/ou drolatiques.
S’il se suit facilement, Rester vertical est bel et bien un OFNI, jouant avec les codes de la fable, laissant le champ libre à une certaine mythologie et empruntant même quelques éléments bibliques. Les personnages ont tous en commun de suivre le cours des choses, leurs envies, sans nécessairement songer à l’après. Ils répondent à leurs pulsions, débordent de paradoxes, sont filmés voire transcendés comme les animaux qui gravitent autour d’eux. Entre liberté et emprisonnement, quête d’absolu et besoin de se poser, chacun se confronte à ses désirs, son animalité, ses limites.
Pas de doute que ce long-métrage en déconcertera plus d’un avec son ton particulier, sa façon d’osciller en permanence entre farce et vérité, réalisme et pure fiction. Réalisateur aventureux, joueur et charnel , Guiraudie continue de cultiver son propre univers, un regard très personnel sur le monde et les relations humaines où la sexualité comme les destins sont fluides, flexibles, souvent délicieusement imprévisibles et parfois sans issue.
Film sorti en 2016 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen