FICTIONS LGBT
ADONIS de Scud : beauté et jeunesse sacrifiées
Réalisateur chinois qui n’a pas peur de se frotter aux tabous, Scud délivre avec son film Adonis (Thirty Years of Adonis pour son titre international, San shi er li pour son titre original) une curiosité qui s’inscrit bien dans sa filmographie connue des cinéphiles aventureux pour mêler esthétisme, homoérotisme et expérimentations. Le cinéma de Scud est toujours étrangement paradoxal, généralement maîtrisé dans la forme et en même temps un peu maladroit. Clairement pas du cinéma grand public mais c’est ce qui fait aussi le charme de son oeuvre.
Comme le titre de ce long-métrage pouvait le laisser deviner, nous suivons le destin d’un très beau jeune homme, Adonis (Yang Ke), qui rêve de devenir comédien. Un poil naïf, le garçon a bien du mal à se frayer un chemin dans une industrie cinématographique aux allures de mirage qui va de plus en plus ressembler, dans tous les sens du terme, à un chemin de croix. Après un petit contrat à l’Opéra, Adonis peine à rencontrer les bonnes personnes et choisit comme agent un homme à l’évidence peu recommandable et fiable qui va le pousser à accumuler les contrats et missions douteuses. L’artiste se retrouve ainsi à devenir progressivement , sans comprendre ce qui se passe, un travailleur du sexe.
Séances photos dénudées improbables, soirées privées débridées qui flirtent avec le glauque et le danger, films underground qui tournent à la production x : Adonis suscite bien des convoitises mais malheureusement pas les bonnes. A l’exception d’un camarade d’infortune qui le considère comme son frère, tout le monde semble vouloir le croquer, le dévorer, arracher un morceau de sa beauté et de sa jeunesse.
Malgré un quotidien fait d’incertitudes et de désillusions, le jeune homme continue de rêver de cinéma et d’amour, d’une porte de sortie. Mais son destin lui permettra-t-il vraiment de s’extirper d’une spirale infernale qui l’aspire chaque jour un peu plus ?
Scud signe avec Adonis une oeuvre étrange et souvent hypnotique qui se plait à brouiller les pistes. La première partie nous égare, on a un peu du mal à cerner les enjeux. Avec un plaisir évident, le réalisateur flirte avec l’expérimental et nous égare entre réalité, rêverie, portrait terrible d’une Chine où l’homosexualité semble condamnée à être vécue dans une certaine clandestinité, mythologie et fantasmes. On pourra trouver plusieurs niveaux de lecture à cette oeuvre singulière et ambigüe.
Si l’intrigue s’éparpille volontairement et que les maladresses sont parfois de mise (Scud essaie un peu trop de surligner les passages censés être émouvants et peine à convaincre dans ce registre), la mise en scène subjugue. Le film séduit quand il décide d’aller à fond vers l’abstraction, l’expérimentation, déployant des tableaux en mouvement à l’atmosphère toute particulière. Alors qu’Adonis se laisse encercler par une multitude de prédateurs, Scud joue physiquement avec le spectateur. De nombreuses scènes terriblement glauques se déploient à l’écran et perturbent car elles sont appuyées par une mise en scène à la sensualité débordante propageant une fascination un peu morbide pour l’univers gay BDSM. Scud nous confronte à l’ambivalence de nos pulsions et nos désirs, questionne ici nos limites en même temps que celles de son personnage principal qui repousse chaque jour un peu plus ses tabous pour essayer de se rapprocher du rêve d’un ailleurs.
Très paradoxal, le film témoigne à la fois d’une noirceur implacable et d’une certaine candeur. La beauté est ici une arme pour tenter de s’en sortir mais aussi et surtout une malédiction qui attire comme un aimant une flopée de tordus pervers et malveillants.
En opposition à une homosexualité vécue dans la douleur et le sacrifice, Adonis oppose des parenthèses charnelles troublantes et des réflexions sur l’existence, le destin, la vie après la mort, la réincarnation… L’ensemble est brinquebalant, sinueux, désarçonne et magnétise en même temps. Ici on salue la prise de risque, l’audace et surtout la réalisation. Qu’on y adhère ou pas, Adonis laisse en tête une multitude d’images fortes à la beauté vénéneuse.
Film produit en 2017 et présenté lors du festival de Films LGBT en ligne Queerscreen