FICTIONS LGBT
SPARTACUS de Stanley Kubrick : pour l’égalité
73 avant J.-C. , dans les mines de Lybie. Comme beaucoup d’hommes et de femmes, Spartacus est un esclave. Travail rude et éreintant, brimades et humiliations continues : il n’est aux yeux de ses maîtres qu’une bête. On le vend ainsi que plusieurs de ses compagnons d’infortunes à Lentulus Batiatus, propriétaire d’une école de gladiateurs à Capoue. Sur place, les hommes sont entrainés au combat. De temps en temps, on leur accorde des moments privilégiés avec des femmes esclaves qui ont pour consigne de coucher avec eux. C’est ainsi que débarque dans la « cellule » de Spartacus la belle Varinia. Coup de foudre. Il refuse d’abuser d’elle, elle est la première femme qu’il désire avoir et elle restera l’unique.
Cette rencontre inattendue permet à l’esclave rebelle d’encaisser des journées de plus en plus difficiles. Regards en coin, gestes délicats : ils se satisfont du peu qu’ils ont. Tout bascule quand le puissant Crassus débarque chez Batiatus. Riche, accompagné d’amies, il compte bien voir s’exaucer tous ses caprices. Il demande alors à son hôte d’organiser deux affrontements mortels entre gladiateurs. Spartacus fait partie des malheureux élus pour assurer le spectacle. Alors que son adversaire est sur le point de le tuer, ce dernier lance son trident sur la bande à Crassus, refusant de participer à ce divertissement malsain. Crassus ne manque pas de le tuer sur le champ. Ce sacrifice touche Spartacus au plus profond de lui-même.
Le lendemain, quand il apprend que Crassus a acheté Varinia, il entre dans une rage folle et se rebelle sauvagement contre ses gardes. Un mouvement de révolte violent naît chez les esclaves, qui par leur force et leur nombre parviennent à s’échapper.
Les semaines passent et Spartacus se retrouve à la tête d’une armée de plus en plus grande. Retrouvant Varinia avec laquelle il peut enfin goûter à un amour libre, il décide de mener un combat aussi inédit que primordial : tenter de faire cesser l’esclavage, combattre et convaincre ceux qui l’ont instauré de redonner à chaque homme sa liberté. Un combat qui s’annonce ardu, les privilégiés refusant de basculer dans une nouvelle ère, plus égalitaire. Alors qu’une guerre d’un nouveau genre s’annonce, à Rome un jeu de pouvoir pervers se déploie entre Crassus et le plébéien Gracchus…
Chef d’œuvre total, Spartacus est une nouvelle occasion pour Stanley Kubrick de montrer toute l’étendue de son talent. Plus de trois heures de grand spectacle et d’émotions fortes, au service d’un héros mythique et d’une quête ô combien universelle : la liberté pour tous et l’égalité. Si le film comporte bel et bien son lot de scènes spectaculaires, riches en action, jamais Kubrick ne recourt à la facilité. Tout semble être prétexte à livrer une œuvre à la maîtrise et à la beauté incroyables, qui des décennies après la sortie du film impressionnent encore.
Sensation d’être au cœur du combat, dans l’arène avec les gladiateurs avec l’aide d’un simple filet. Contemplation de la beauté masculine, sous tous les âges, avec tous ces hommes à moitié dénudés. Transformation de la guerre en un spectacle étonnamment gracieux et coloré (la scène d’affrontement finale, avec les ennemis qui n’en finissent plus d’arriver, est d’une grâce folle). Alors que l’intrigue de Spartacus a tout pour être balisée, le cinéaste fait de la grosse machine hollywoodienne une œuvre d’esthète, aussi universelle, intelligente qu’ambiguë. En témoigne l’homo-érotisme latent (le corps bronzé et suant à tomber de John Gavin), voire assumé (la très troublante et culte scène du bain entre Laurence Olivier et Tony Curtis).
Si Kirk Douglas délivre une performance inoubliable, inscrivant définitivement Spartacus comme un mythe du septième art, en faisant une figure charismatique et finalement assez christique, face à lui Laurence Olivier est loin de démériter. Il campe à merveille le rôle du pervers Crassus, à la soif de pouvoir insatiable, dont le côté mégalo comble à l’évidence une frustration sexuelle et des carences affectives.
Spartacus, monument du cinéma, ne l’est pas par hasard. Si l’ensemble est merveilleusement filmé, écrit et interprété, renforcé par une bande-originale intense, le long-métrage est loin de se contenter d’être un péplum ou une grande épopée historique. C’est aussi bien l’histoire d’hommes luttant pour leur liberté, pour échapper à leur triste condition, qu’une love story magnifique. Un film politique et en même temps très personnel. Stanley Kubrick insuffle beaucoup d’humanité et de chair , captivant le spectateur lors de chaque scène, le plongeant aussi bien dans un jeu de pouvoir bien connu qu’un jeu de désir plus flou qu’il n’y paraît. Grand.
Film sorti en 1961 et disponible en VOD