CINEMA
PRÉJUDICE de Antoine Cuypers : cauchemar familial
Caroline (Ariane Labed) réunit sa famille pour leur annoncer qu’elle attend son premier enfant. Son frère préféré, Laurent (Julien Baumgartner), est en retard mais la femme de celui-ci et son fils sont présents. Egalement à table, la mère (Nathalie Baye), le père (Arno Hintjens), le frère Gaetan (Eric Caravaca)…et Cédric (Thomas Blanchard).
Ce dernier vit encore à trente ans chez ses parents et est considéré par pratiquement tout le monde comme « inapte ». Cédric est en effet « bizarre », « pas normal ». Il vit dans son monde, ne sait pas faire la conversation ou être tout simplement « comme tout le monde ». Enfermé et replié sur lui-même, traité comme un attardé, quelque chose se réveille en lui alors que sa soeur annonce sa grossesse.
Il décide le temps d’une soirée de dire ce qu’il a sur le coeur et de provoquer ceux qui à ses yeux lui ont fait subir un douloureux préjudice. Le diner de famille s’annonce agité entre faux semblants qui éclatent, violence et reproches.
Pour son premier long-métrage, Antoine Cuypers frappe un grand coup. Quelque part entre Festen et le cinéma de Joachim Lafosse, son Préjudice ne manque pas de mettre mal à l’aise et relève du sans faute. La mise en scène est archi maitrisée et étouffante à souhait, matérialisant les névroses des différents protagonistes de façon à les faire ressentir physiquement au spectateur, montrant de façon tour à tour subtile ou violente l’horreur des faux semblants et de l’enfermement.
Au centre du film, le personnage de Cédric. Un garçon différent, étrange, qui ne communique et ne s’exprime pas comme les autres. Il suffit qu’il apparaisse pour qu’un malaise silencieux se propage. Sa mère ou sa soeur craignent en permanence qu’il n’ouvre la bouche, sa belle soeur frôle la crise d’anxiété quand il part se promener seul avec son enfant. Tout le monde l’infantilise, dit s’inquiéter pour lui et refuse d’admettre la vérité qui blesse : la bizarrerie de Cédric leur inspire terreur et même une pointe de dégoût. Il est le vilain petit canard, la tâche dans une famille qui s’épuise à vouloir sauver les apparences, faire comme si de rien n’était. Il ne se plie pas aux règles et usages, ne sait pas « jouer le jeu ».
Le film est extrêmement habile dans sa façon de montrer à la fois la douleur d’une mère, d’un frère ou d’une soeur dépassés par un être insaisissable et parfois dérangeant tout en pointant du doigt la violence psychologique très lourde à laquelle ils le soumettent plus ou moins consciemment. Antoine Cuypers n’a pas peur d’appuyer là où ça fait mal, d’aller creuser au plus profond de ses personnages pour sonder leur humanité et leur monstruosité. Un jeu particulièrement cruel et cinglant se déploie en mode huis clos, porté par une galerie d’acteurs tous excellents. Alors que tout le monde finit par craquer, en retrait le père de famille se démarque par son absence de virulence. Il est le seul à ne pas blâmer et infantiliser Cédric, à l’écouter.
Avec beaucoup d’intelligence et de mordant, Préjudice massacre la famille en dépeignant ses hypocrisies et ses souffrances. On en ressort KO.
Film sorti en 2016 et disponible en VOD