FICTIONS LGBT
GARÇON CHIFFON de Nicolas Maury : aimer et (vouloir) avoir
Premier long-métrage en tant que réalisateur de Nicolas Maury (qui campe tout de même le premier rôle en tant qu’acteur), Garçon Chiffon est à l’image de son auteur : inclassable. Un film qui échappe aux cases, quitte à déstabiliser parfois le spectateur.
L’oeuvre s’ouvre sur le personnage de Jérémie (Nicolas Maury) qui se rend à une improbable réunion de « jaloux anonymes ». Jérémie approche de la quarantaine mais se voit et agit encore comme un garçon, pas comme un homme. Il vit dans son monde, se laisse dévorer par ses obsessions, a peur de tout comme un enfant, témoigne d’une hyper sensibilité à double tranchant.
Comédien légèrement en galère, il connait une impasse dans sa vie affective, incapable de calmer ses élans de jalousie vis-à-vis de son très beau petit ami, Albert (Arnaud Valois), un vétérinaire simple et bien moins torturé que lui. Quand ce dernier jette l’éponge, fatigué des suspicions à répétition de son partenaire, Jérémie se retrouve brusquement sans rien : pas de rôles en chantier, plus de copain. Alors qu’une audition pour une pièce de théâtre approche, il décide de quitter Paris et de rentrer à la campagne chez sa mère (Nathalie Baye) au calme pour se préparer.
Le retour à la maison familiale est l’occasion de raviver des souvenirs, de commémorer un père récemment disparu, de lever le voile sur certains secrets de famille éclairants. Petit à petit, entre deux pleurnicheries et grâce à l’amour et à la tendresse de ceux qui l’entourent, Jérémie va essayer de reprendre sa vie en main.
Ceux qui vont visionner le film car ils ont aimé Nicolas Maury dans Dix pour cent et s’attendent à une comédie pétillante risquent d’être déçus. Si Garçon chiffon compte bien quelques passages de comédie survoltés (notamment un moment très réussi avec l’autre star de Dix pour cent, Laure Calamy), ce premier long-métrage appartient davantage à un certain cinéma français auteuriste, intimiste et névrosé, résolument plus dramatique.
Surtout, Nicolas Maury semble ici se chercher en tant que réalisateur. Il navigue entre les genres, ne choisit pas forcément, s’éparpille parfois. Côté défauts, il y a le petit côté film nombriliste parisien où par moments le personnage de Jérémie donne l’impression d’un peu se regarder et s’écouter pleurer. Les mauvaises langues diront que Nicolas Maury se sert de ce film pour faire sa thérapie avec tous ses amis comédiens et que le spectateur n’avait rien demandé. La durée d’une heure cinquante est excessive, il reste un peu de gras et l’ensemble est assez exigeant.
Ce n’est pas un film grand public, ce n’est pas un film qui plaira à tout le monde mais c’est en cela aussi qu’il est ,je trouve, intéressant. Sa plus grande et belle qualité est d’être comme son réalisateur-interprète : inclassable. Il est comme il est, assumé, à prendre ou à laisser. Et si par moments certains passages s’embourbent, en tant que réalisateur Nicolas Maury réussit aussi souvent de belles choses.
Il aime à l’évidence ses comédiens/comédiennes à qui il offre à tous et toutes sans exception de beaux moments qui respirent l’amour et la tendresse. Si l’on retient évidemment Nathalie Baye qui porte une deuxième partie campagnarde attachante en maman cash avec tout le talent qu’on lui connait, Nicolas Maury révèle aussi le jeune et sensuel Théo Christine et offre des moments plus ou moins courts mais toujours justes et touchants à Arnaud Valois, Laurent Capelluto ou dans le registre de la comédie névrosée à Laure Calamy.
La mise en scène semble se chercher mais elle est souvent élégante, de très jolis plans surgissent régulièrement. Il est également plaisant de voir à l’écran le corps de Nicolas Maury, plus ordinaire, en opposition à ceux fantasmatiques de ses partenaires.
Là où on se laisse attraper, c’est dans la façon que le projet a de parler d’amour tout en le questionnant (l’obsession de vouloir posséder quelqu’un, de l’obtenir comme on obtiendrait un rôle en quelque sorte). L’amour malade qui flirte avec la jalousie, l’amour d’une mère pour son fils, l’amour d’une épouse délaissée pour un homme disparu, la tendresse d’un agent pour son comédien, le coeur blessé d’une réalisatrice qui vient de se faire larguer et se sent incomprise, un refus de rôle qui sonne comme une rupture, l’amour sans mot pour un adorable chien, un amour improbable qui surgit de nulle part avec un être contraire… Mine de rien, l’amour, l’attachement, est ici partout et est un réel fil rouge et parsème cette oeuvre sinueuse de beaux instants généreux. De quoi passer au-delà de son caractère imparfait et ovniesque jusqu’à un final chanté (le très chouette Olivier Marguerit a signé une partie de la bande-originale) craquant.
Film sorti en 2020 / Nouvelle sortie en salles le 19 mai 2021