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Alfonso Barón : acteur du corps
On sait peu de choses de Alfonso Barón et ce mystère le rend encore plus fascinant. Je l’ai découvert comme beaucoup au moment de la sortie en 2020 du film de Marco Berger, Le colocataire. Alsonso Barón y incarne Juan, un garçon viril, sexy et taiseux qui trouble son coloc, l’embarque dans une liaison charnelle pour mieux semer la confusion dans son coeur et sa tête, le personnage peinant à assumer au grand jour son attirance pour les hommes.
Comme toujours dans le cinéma de Marco Berger, le film joue beaucoup sur les petits riens qui disent beaucoup de choses, les regards, les gestes. Alfonso Barón y explose de sensualité en objet du désir insaisissable dont les regards langoureux donnent le vertige et dont le corps attise toutes les envies, de l’objectif de la caméra subjuguée au regard des spectateurs qui épousent complètement le point de vue du colocataire frustré.
Lors de la sortie de ce film que j’avais adoré, on m’avait parlé de la pièce UN POYO ROJO dans laquelle Alfonso Barón joue depuis maintenant plusieurs années. Monté par Hermes Gaido, le spectacle met en scène Alfonso et l’acteur / performer Luciano Rosso. Il a connu un vif succès à Buenos Aires mais aussi chez nous en France.
Bonne surprise : quelques dates de reprise se sont ajoutées en France à Paris au Théâtre du Rond Point et j’ai enfin pu aller découvrir ça. Je n’avais volontairement pas lu grand chose pour préserver la surprise et je n’ai pas été déçu. UN POYO ROJO est sous-titré « Teatro Físico » et ça n’est pas pour rien : le corps est au coeur de ce qui prend les allures d’une grande performance. Alors qu’on entre dans la salle, le rideau est déjà levé et l’on peut voir le décor élémentaire d’un petit vestiaire et les deux comédiens qui s’échauffent.
Quand le spectacle commence, débute une expérience physique. Pas de paroles, juste l’expression des corps. Ce sont les corps d’Alfonso Barón et Luciano Rosso qui vont nous raconter une histoire. Une histoire qui pourra être différente pour chaque spectateur, la pièce, d’une durée efficace d’une heure, se plaisant à jouer de l’abstraction.
Sans nécessairement tout comprendre, difficile de ne pas passer un excellent moment. C’est à la fois très rafraichissant, impertinent, plein de folie douce et le caractère improbable des performances / improvisations suscite presque constamment sourires et hilarité dans la salle. Le public rit car il est interpellé, tout le temps surpris. Le trio d’artistes derrière UN POYO ROJO signe une réussite totale, parvenant à être à la fois expérimental et apte à toucher le grand public, à faire rire tout en générant une réelle fascination (la performance physique réalisée par Alfonso Barón et Luciano Rosso force l’admiration).
Mais de quoi ça parle alors ? Une fois encore les interprétations pourront diverger. Pour ma part je l’ai perçu comme un duel de mâles, de coqs. Alsonso et Luciano font ensemble et / ou séparément des démonstrations de leurs talents divers et la chose tourne au duel. Dans cette rivalité, on peut voir à la fois cette sale manie des hommes de toujours se comparer, s’affronter, de vouloir être le meilleur. Une tradition perpétuelle de la cour de récréation à l’âge adulte. On peut aussi y voir le sentiment de compétition omniprésent qui peut régner quand on est artiste, qui pousse toujours à devoir se dépasser, à vouloir faire son intéressant jusqu’à en devenir un peu fou.
Le spectacle explore la masculinité, joue entre l’opposition entre une virilité fabriquée et une féminité qui s’exprime souvent par surprise, comme une forme de libération. Il explore aussi l’animalité qui est en chacun de nous, cette part bestiale qui peut régulièrement s’emparer de notre être. L’aspect crypto-gay est présent dès le départ et UN POYO ROJO va aussi aller sur le territoire du désir : les corps s’opposent, se défient mais se rapprochent aussi et sont pris ,comme par éclats, d’envies de fusion.
L’ensemble peut évoquer le tout début du cinéma, quand il était encore un art forain, où privé du son les comédiens devaient beaucoup jouer avec leurs expressions et avec leur corps. Entre numéros millimétrés et improvisations réjouissantes (sans que le public puisse percevoir ce qui est préparé de ce qui est improvisé), cette création artistique à part nous rappelle le plaisir de la création, navigue entre jeux enfantins et immatures et questionnements et sensations d’adultes.
Une totale réussite qui impose un peu plus Alfonso Barón en acteur du corps. On se rend compte à la fin de la représentation, alors qu’il prend la parole, que l’on ne connait pas du tout sa voix. On ne sait pas du tout qui il est mais que ce soit par son rôle dans le film de Marco Berger ou la pièce de Hermes Gaido, il a partagé avec nous, suscité en nous, une multitude d’émotions. Le mystère semble tenir à coeur à cet artiste argentin qui gagne à être connu et qui sur son compte Instagram s’amuse régulièrement à faire des stories intrigantes, bribes de vies un peu brutales qui nous amènent à épouser son regard, une fois encore sans passer la plupart du temps par les mots. On espère le retrouver vite sur grand écran ou au théâtre.
Il reste encore à l’heure de l’écriture de ces lignes quelques places pour UN POYO ROJO à Paris