FICTIONS LGBT
BENEDETTA de Paul Verhoeven : y croire
Paul Verhoeven revient avec un nouveau film en français après le très réussi Elle. Il s’attaque cette fois au portrait d’une nonne ambigüe et fascinante avec une histoire inspirée de faits réels survenus au 17ème siècle. Oscillant constamment entre génie et grotesque (avec un plaisir très contagieux), le film est un régal de chaque instant dans lequel Virginie Efira s’éclate.
Italie, 17ème siècle. Les parents de la jeune Benedetta (Virginie Efira) la placent dans le couvent de Pescia en Toscane. Vouant déjà une passion à Dieu, Jésus et la Vierge Marie (elle ne lâche jamais une petite statuette à l’effigie de cette dernière), la jeune fille va rapidement trouver sa place auprès des soeurs, à la fois intelligente et volontaire.
Les années passent et Benedetta apparait en soeur adulte et épanouie, totalement dévouée au couvent. Mais voilà que surgit le jour de son anniversaire une inconnue, Bartolomea (Daphne Patakia). Victime d’un père violent et vicieux, elle attire de suite la compassion de Benedetta qui obtient de la faire entrer au couvent. Mais à peine arrivée, Bartolomea se plait à la provoquer, la troubler, lui faisant ouvertement des avances.
Exposée pour la première fois à la tentation, se sentant prête à céder au péché, Benedetta tente de réfréner les pulsions qui la submergent et dans le même temps se met à avoir des transes impressionnantes. Lors de celles-ci, elle communique avec Jésus qui semble vouloir faire d’elle une nouvelle martyre. Alors qu’elle enchaine les crises spectaculaires et se retrouve avec des stigmates, Benedetta attire logiquement toute l’attention sur elle. Si le père Alfonso (Olivier Rabourdin) ne demande qu’à croire à ce qui relèverait de l’ordre du miracle (ce qui en soit servirait bien les intérêts financiers du couvent au passage), l’Abbesse Felicita (Charlotte Rampling) a quelques réserves et la jeune soeur Christina (Louise Chevillotte) est pour sa part persuadée que Benedetta invente absolument tout.
Les semaines passent et Benedetta ne cesse de prendre du galon tout en attisant les passions. Et dans l’intimité de sa nouvelle chambre, elle succombe au plaisir avec Bartolomea. Le secret de leur liaison charnelle pourrait bien les mettre en danger à une époque où être lesbienne n’est tout simplement pas envisageable. Qui plus est, les soupçons de mythomanie ou de folie autour de Benedetta ne s’atténuent pas…
Benedetta est un pur film de Paul Verhoeven, alternant avec une maestria totale bon et mauvais goût, suspense et grotesque, réflexions passionnantes et situations improbables aptes à susciter l’hilarité. Entre grand cinéma et cinéma z, ce nouveau long-métrage est avant tout le portrait d’une femme fascinante campée par une Virginie Efira complètement possédée. L’actrice surprend une fois encore et se lâche à 200%. Elle y va, elle n’a peur de rien et ce qui aurait vite pu tourner au ridicule devient absolument dément, génial.
Jusqu’à la fin, Benedetta reste un mystère, une femme complexe et ambivalente. Au tout début du métrage, alors que sa famille est menacée, Benedetta enfant invoque Dieu et prétend pouvoir communiquer avec les forces divines. Coup de chance ou miracle : quelque chose se passe qui pourrait lui donner raison. Tout le film durant, la croyance exacerbée dont elle témoigne (en Jésus comme en elle) va la porter. Est-elle une folle mythomane à moitié schyzo qui invente absolument tout ? Est-elle vraiment touchée par la grâce et une élue ? L’intrigue se plait à brouiller les pistes et laisse le spectateur se faire son avis. Ce qui apparait en tout cas certain, et c’est ce qui est le plus passionnant dans ce film, c’est que souvent à force de croire en quelque chose, de s’en persuader, on peut donner lieu à des miracles, forcer la chance, provoquer l’incroyable. La croyance en soi, en une force supérieure, peut avoir quelque chose de magique.
Ne lésinant ni sur les kitscheries ni sur les scènes érotiques saphiques et non dénuées d’humour, Paul Verhoeven délivre ici un mélange étonnant et ultra efficace de film de nonne, film en costumes, drame au féminin, thriller historique et comédie absurde. Des premiers aux seconds rôles, tout le casting est parfait et déploie une partition jouissive, divertissante, délicieusement provocante.
En toile de fond, les recoins sombres d’un couvent où derrière la foi se cachent de nombreux jeux de pouvoir, de basses préoccupations et autant d’égos (sans parler des considérations liées à l’argent). Aussi une époque qui ne fait clairement pas de cadeaux aux femmes et encore moins à celles qui voudraient disposer de leur corps comme elles l’entendent.
Les rebondissements abondent façon soap opera avec une énergie qui laisse pantois, on est constamment surpris, amusés, aspirés. Porté par son actrice phénoménale et une mise en scène imparable, Benedetta s’apparente à une grande partie d’échec riche en manipulations. Captivant et jubilatoire.
Film sorti au cinéma le 9 juillet 2021