FICTIONS LGBT
Baisers perdus (Vilom) de Sunder Pal : amour et violences en Inde
Long-métrage indien, Baisers perdus (Vilom pour son titre original) est tristement inspiré de faits réels. Il raconte la naissance d’un amour et sa possible destruction alors qu’en Inde l’homophobie a regagné du terrain entre 2009 et 2018.
Vilom (Sunder Pal, réalisateur du film), rêve de devenir un vidéaste à succès. Il entreprend de lancer une chaîne Youtube artistique et a un projet de film expérimental féministe. Ayant soif d’art et de liberté, il aimerait pouvoir aimer sans se préoccuper du poids de la société où il évolue et où au fil des années l’homophobie va remonter en flèche.
Refusant de céder à la tristesse ambiante, Vilom se laisse tomber amoureux d’Amay (Navpreet Moti), un coiffeur qui ne s’était jusqu’alors pas autorisé de romance avec un autre homme. Au fil des mois, une belle histoire d’amour se construit entre eux. Mais la dure réalité ne cesse de se rappeler au couple : alors qu’Amay voudrait simplement vivre avec celui qu’il aime, sa mère le harcèle au téléphone pour lui demander quand il va se marier à une femme. Et alors que les deux amoureux ont le malheur de se témoigner leur affection en public, la violence des ignares et intolérants va leur éclater au visage…
Le film est scindé en trois parties (reliées à des années clés concernant les droits des LGBT en Inde). La première est douce et insouciante, marquant la fin de la solitude pour les personnages de Vilom et Amay. La deuxième installe leur romance et déploie de premiers doutes. La troisième se transforme en un véritable cauchemar.
À l’évidence, le réalisateur Sunder Pal s’identifie à son personnage principal qu’il interprète, jeune artiste qui ne demande qu’à vivre et aimer librement. Habilement, Baisers perdus montre comment les évolutions ou l’immobilisme des lois peuvent autoriser le pire : l’année 2013, l’article 377 visant à combattre la pénalisation de l’homosexualité en Inde est rejeté et cela va renforcer une homophobie déjà présente. Comment faire par exemple quand on se fait agresser par des policiers homophobes dans un pays où l’homosexualité est illégale ? Pas de recours possible, juste du désespoir, des droits humains bafoués, une barbarie tacitement autorisée.
SI notamment dans son dernier segment le film est très dur (la violence de l’homophobie se déployant de façon très frontale, donnant bien à comprendre tous les traumatismes que peuvent générer les agressions envers des LGBT et aussi la cruauté et l’hypocrisie de ceux qui les infligent – on comprend que les agresseurs de Vilom et Amay ont comme un léger soucis d’homosexualité refoulée), Baisers perdus touche et fait mal au coeur surtout car il raconte aussi un amour palpable à chaque instant et tristement rendu impossible.
L’oeuvre ne manque pas de fragilités (on devine un budget très indépendant qui fait que la forme est parfois un peu brute malgré de belles intentions et idées, certains seconds rôles n’éblouissent pas leurs qualités de jeu) mais on reste difficilement de marbre devant sa sensibilité et sa sincérité. Les deux comédiens principaux sont très touchants et Sunder Pal montre de façon bouleversante, par de petits détails, comment ses deux protagonistes ont juste envie de douceur, de tendresse, de pouvoir aimer sans que cela ne soit hélas possible. Leur amour est une lumière, une lueur d’espoir, si fragile face à la barbarie des homophobes.
À l’heure de l’écriture de ces lignes, où le nombre des agressions vis-à-vis des LGBT remontent en flèche en Europe et où les actes homophobes restent traités avec trop d’indifférence dans beaucoup de pays, ce long-métrage résonne. Il tient toutefois à s’achever sur une note d’espoir, rappelant qu’en 2018 l’homosexualité en Inde a enfin été dépénalisée. La route reste encore longue. Ce film fera en tout cas office de témoignage, politique et historique, hommage à tous ces baisers perdus, ces coeurs brisés par l’intolérance.
Film produit en 2020 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen