FICTIONS LGBT
DIFFÉRENT DES AUTRES de Richard Oswald : crime d’amour
C’est l’un des premiers films de l’Histoire du cinéma a avoir abordé frontalement l’homosexualité avec justesse. Différent des autres (Anders als die Anderen en VO) est un petit trésor, malheureusement invisible tel qu’il fut présenté au moment de sa sortie. En effet, le film se retrouva rapidement censuré et détruit. Magnus Hirschfeld en fit une version courte qui fut elle aussi censurée et détruite mais une copie resta indemne en Ukraine. Le musée du cinéma de Munich restaura cette version courte et combla les « trous » avec des panneaux nous racontant ce qui se passait à l’écran dans les scènes disparues.
Allemagne, années 1910. Paul Körner est un violoniste au succès grandissant. Toute une tournée de concerts de prévue, un très bel appartement, une vie calme… Un matin, le musicien est interloqué par plusieurs annonces de suicide dans le journal : différents hommes se sont donnés la mort sans que personne ne puisse expliquer pourquoi.
Suite à l’un de ses concerts, Körner est approché par un jeune admirateur, Kurt Sivers. Ce dernier lui rend visite chez lui et lui fait part de son rêve de devenir son élève. Körner accepte et Sivers se consacre dès lors totalement à la musique, ce qui n’est pas pour plaire à ses parents. La relation prof-élève commence, elle, à se faire tendancieuse. Les deux hommes tombent doucement amoureux.
Un jour, alors qu’ils se baladent dans un parc et ont quelques gestes tendres l’un pour l’autre, ils sont surpris par Franz Bollek, une crapule qui saute sur l’occasion pour venir faire chanter Paul Körner. Si ce dernier ne lui donne pas des sommes conséquentes ponctuellement, il le dénoncera. A cette époque en Allemagne, le paragraphe 175 pénalisait toute relation homosexuelle…
Körner paie dans un premier temps mais le maître chanteur devient de plus en plus gourmand. Alors que Körner décide de ne plus jouer le jeu, Bollek entre par effraction chez lui et tombe sur le jeune Kurt. Quand il apprend que Bollek a dénoncé Körner à la police, l’élève prend peur et s’enfuit. Se retrouvant seul, le violoniste se remémore le petit chemin de croix que fut sa vie personnelle : renvoyé de son établissement scolaire pour avoir été découvert en train d’embrasser un camarade, contraint de cacher ses attirances, s’ennuyant dans les fêtes étudiantes hétéros…
Quand vient le moment du procès, lui et Bollek sont sur le rang des accusés. Le premier pour son homosexualité, le deuxième pour son chantage. Grâce au témoignage d’un spécialiste expliquant à la cour que l’homosexualité ne fait de mal à personne, Körner écope de « seulement » une semaine de prison. Mais de retour à la ville, tout le monde lui tourne le dos. Il comprend alors les suicides qui se multipliaient : il s’agissait d’hommes victimes de chantage quant à leur homosexualité ou des bannis comme lui de la société. Désespéré, ayant perdu Kurt et tout espoir de carrière, Körner envisage à son tour de se donner la mort…
La vision du film est particulière en raison des parties manquantes et détruites : nous sommes contraints de devoir imaginer certains passages. Pour autant, l’oeuvre reste très forte car elle nous replonge totalement dans le climat de soif de liberté, de peur et de désespoir propres à ce qu’ont pu vivre les LGBT durant les années 1910 en Allemagne – et malheureusement aussi dans beaucoup d’autres pays. Et le personnage du méchant maître chanteur est particulièrement réussi.
Mais si le film est si important, c’est avant tout pour le message précurseur qu’il délivre à la fois sur l’homosexualité et en pointillé sur la transexualité. Magnus Hirschfeld, père fondateur de la libération homosexuelle et sexologue, a participé à l’écriture du scénario et apparaît à l’écran quasiment dans son propre rôle. Grâce à lui, le personnage de Körner peut faire comprendre à Else, la sœur de son amant Kurt, qu’il n’est pas malade ou dangereux, que l’homosexualité n’est qu’une minorité de plus, tout sauf anormale. Cela n’empêchera pas Körner de se suicider, ne supportant plus la pression de la société qui l’entoure mais cela sauvera Kurt, qui songeait lui aussi à mettre fin à ses jours après la mort de son grand amour.
Le personnage de Magnum Hirschfeld lui explique qu’il a le devoir de rester en vie pour honorer la mémoire de son défunt compagnon, de se battre pour qu’un jour l’homosexualité ne soit plus considérée comme un délit ou un crime.
Différent des autres a de véritables vertus pédagogiques et est une œuvre incroyablement courageuse pour l’époque. Il est assez déchirant de se dire que nous ne verrons jamais la version originale, contenant toutes les scènes avec Else, sœur de Kurt, personnage secondaire presque intégralement sacrifié de la version retrouvée. Le film, écorché, porte donc étrangement avec lui les stigmates d’une époque terrible et heureusement révolue. Et rend à sa façon hommage à Magnus Hirschfeld, son travail ô combien essentiel pour la liberté et la considération des homosexuels. A noter que l’intrigue du film fait écho à un classique sorti bien des années plus tard : Victim.
Film sorti en 1919