FICTIONS LGBT
« Adieu ma honte » la série documentaire sur Ouissem Belgacem
Ouissem Belgacem, ancien footballeur dont les rêves de carrière ont été brisés à cause de l’homophobie de ce milieu, a fait beaucoup parlé de lui avec la sortie de son livre intitulé Adieu ma honte. L’ouvrage est désormais adapté par lui-même en une série documentaire de 4 épisodes sur My Canal (premier épisode offert).
C’est l’histoire d’un jeune homme passionné de foot, qui rêvait d’y faire carrière et qui avait le talent et les capacités pour. Ouissem Belgacem a vu petit à petit son rêve de gosse se réaliser en commençant à jouer chez les pros. La compétition faisait rage, la concurrence était difficile mais il pensait avoir les épaules. Alors qu’il vivait tout jeune une véritable ascension et faisait la fierté de ses amis et de sa famille, quelque chose a commencé à le troubler dès l’adolescence : la naissance des premiers désirs lui laissant deviner une attirance pour les garçons. Et là le drame commençait…
La série documentaire s’appuie sur la parole de Ouissem Belgacem, sur celle de ses proches et d’intervenants emblématiques. Les thématiques et récits évoqués dans son livre se matérialisent par une voix off et des témoignages. Né en 1988, Ouissem Belgacem a connu une époque où l’homosexualité commençait à être présente médiatiquement mais où l’on était encore loin de la représentation positive d’aujourd’hui. Surtout, il a grandi et s’est épanoui dans le milieu très masculin et viriliste du foot. Là où les insultes homophobes pullulent dans la bonne humeur sur le terrain, dans les gradins, dans les vestiaires et les soirées. Être gay dans ce microcosme c’est « la honte ». On entend déjà les blagues douteuses, on imagine la mise à l’écart d’un joueur différent, les vieilles rengaines du type « j’ai rien contre les gays mais j’en veux pas dans mes vestiaires ».
Pour un jeune footballeur qui rêve de devenir pro et qui avance vers les portes menant à son rêve, pas question de se tirer une balle dans le pied. Il n’y a aucun joueur célèbre de foot, aucune icône, qui a assumé son homosexualité. C’est comme si par on ne sait quel miracle un milieu sportif pouvait échapper aux statistiques. Tant qu’aucune star gay dans le placard n’aura pris la parole et assumé son identité, servant d’exemple, le problème risque de continuer. On espère et on attend qu’un jour un « grand » joueur ait le courage d’être lui-même et de devenir le modèle, l’exemple, l’inspiration d’une nouvelle génération. Ce jour n’est pas arrivé et il semblerait que, comme Ouissem Belgacem à l’époque, aucun jeune joueur n’ait envie de faire de vagues et de commencer sa carrière en étant catalogué.
Ceux qui évoluent dans ce sport ont bien sûr peur de se prendre des rafales d’homophobie dans la poire (on sait que dans les gradins il n’y a pas toujours que des gens très éduqués ou ouverts d’esprit). Pourtant nul doute que si aujourd’hui même un jeune joueur avec le vent en poupe décidait de se déclarer gay, il aurait derrière lui le soutien de millions de personnes et pourrait même devenir très désirable pour tout un tas de marques…
On s’éparpille mais c’est l’effet qu’a ce documentaire : il fait jaillir et pose pas mal de questions, donne beaucoup à réfléchir. Pour en revenir à l’itinéraire de Ouissem Belgacem, il a voulu renier qui il était car pour lui c’était presque une question de survie. Les signes de son homosexualité, il les a vécus comme une malédiction. Le film évoque en filigrane la « double peine » qu’il a pu ressentir : celle d’être homo en étant à la fois dans le milieu du foot et en étant musulman. Et l’avènement d’une peur monstrueuse d’être à la fois rejeté par son milieu, ses potes et ses proches.
« Pas question d’être gay ». Le jeune Ouissem a été voir une multitude de psys, espérant qu’ils lui offriraient une solution « pour guérir ». Heureusement, il n’est pas tombé sur des charlatans et tout le monde l’a renvoyé au fait qu’être homosexuel ne se choisit pas et ne se change pas. Mais il n’a rien voulu entendre, il a vécu dans le déni, il a joué les hétéros, s’est construit un personnage cliché de bogosse macho tombant les filles. Pire, il a aussi joué à l’homophobe de service, a participé à « des chasses aux gays » sur des lieux de drague…
Le terme « homophobie » prend ici tout son sens : Ouissem Belgacem avait une véritable phobie vis-à-vis de ce qu’il ressentait, au point d’avoir été par le passé un « ennemi ». De quoi le torturer, le briser, dans la période déjà complexe de l’adolescence. De plus en plus déchiré de l’intérieur, ses forces se sont amoindries sur le terrain. Quand c’est le brouillard dans la tête, pas facile d’être focus sur ce sport très exigeant chez les pros.
Un jour, la conclusion est tombée comme un couperet : comprenant qu’il ne pourrait pas devenir hétéro, lessivé par un milieu incapable de l’accueillir tel qu’il était, il a préféré partir.
La série raconte les différentes étapes du parcours de cet homme qui a mis des années à passer de la honte à la fierté et au militantisme. On imagine le niveau de frustration et de colère qui peuvent animer celui qui a enfin décidé d’être lui-même et de l’être publiquement pour tenter de délier les langues et de faire bouger les choses à son niveau.
Les témoignages du documentaire sont souvent très émouvants (notamment ceux avec la famille de Ouissem Belgacem et un échange très fort entre lui et sa mère), racontent un coming out lent, dans la douleur, la difficulté de se défaire du déni et du poids du mensonge. Puis, dans la dernière partie, cette version cinéma de Adieu ma honte dépasse le livre en nous montrant ce qui a suivi pour Ouissem Belgacem qui est devenu l’une des icônes gays françaises : les lectures, les collaborations avec des marques et surtout les meetings, le travail avec les assos, la lutte militante.
Un des passages les plus forts (et glaçant) de la série tient dans les rencontres entre Ouissem Belgacem et des jeunes : on se rend compte qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, que la haine existe bel et bien et qu’elle est souvent liée à un manque d’éducation, d’information, de discussions.
Dans une France idéale, cette série serait montrée dans tous les collèges et lycées et aux clubs de foot pour tenter de faire évoluer les choses. Mais l’homophobie a encore de beaux jours devant elle… Ouissem Belgacem, lui, ne compte pas arrêter la lutte. Au final, s’il n’a pas pu aller au bout de son rêve de foot, c’est l’art qui lui tend désormais les bras : livre, série, musique (la série se termine sur une chanson composée avec entre autres Léa Castel et Camelia Jordana – « Je suis en paix » désormais dispo sur toutes les plateformes), mode… Première voix à émerger avec force médiatiquement en France sur ce sujet brûlant de l’homophobie dans le foot, Ouissem Belgacem s’impose comme une personnalité inspirante, à suivre et à soutenir absolument.
Série sortie en juin 2023 sur MyCanal – premier épisode offert ci-dessous