FICTIONS LGBT
TOXICO de François Zabaleta : à nos frustrations
Cinéaste qui peut se targuer d’avoir le record de sélections au Festival Chéries Chéris de Paris, François Zabaleta y est devenu en quelque sorte un pilier. Depuis quasiment une quinzaine d’années, on l’y retrouve à chaque fois avec un nouveau film ou un programme mêlant long et courts-métrages. Une belle histoire de fidélité entre un artiste pas comme les autres et un festival dont la programmation orchestrée par le passionné Gregory Tilhac continue de faire la part belle au Cinéma sous toutes ses formes. Pour l’édition 2023, François Zabaleta est venu présenter entre autres son dernier long-métrage Toxico qui comme à chaque fois mêle son grand talent d’écriture à une forme hybride qui échappe aux codes d’un cinéma que certains peuvent avoir tendance à enfermer et lisser.
On pouvait s’attendre à une histoire de drogué mais le titre est un leurre. Le personnage principal, Quentin Debeaumont (61 ans) est ici non pas intoxiqué par une substance mais par un homme roumain, un certain Pavel Rādulescu (lui âgé de 66 ans). En voix off, Quentin explique que son regard s’est laissé aspiré par cet adepte de lutte gréco-romaine au physique de grosse baraque vieillissante. Une beauté pas commune, que les autres ne percevaient pas forcément. Problème : Pavel se définit comme un homme hétérosexuel, est marié à une femme avec qui il a fait sa vie et qui lui a donné plusieurs enfants. Mais, flatté, cet homme « bourrin » (possiblement bisexuel ou homo dans le placard) va se laisser approcher et va même tisser une relation clandestine avec son admirateur.
Les choses sont rapidement établies et elles resteront claires : pas question pour Pavel de remettre en question son mariage et la vie qu’il a pu construire. Il retrouve régulièrement Quentin dans une chambre où ils apprennent à se connaitre sans avoir de rapports intimes directs. Son côté inaccessible ne fait que dupliquer les sentiments et l’attirance de Quentin qui se sent hypnotisé et soumis et qui malgré sa frustration va trouver une forme d’épanouissement dans cette relation singulière.
Il y a plusieurs films dans ce film et beaucoup de films même ! A cette romance non consommée se mêle une réflexion sur l’homosexualité (le métrage s’ouvre sur le récit du personnage principal qui raconte comment il essayait de se forcer à éveiller son désir pour des filles, sans succès), sur les relations gays passées la soixantaine, la thématique de la double vie, l’itinéraire d’un homo refoulé et le portrait fantasmé de celle qui l’a épousé et que le narrateur jalouse évidemment. S’entrechoquent comme toujours dans le cinéma de François Zabaleta expériences personnelles et fiction, tourbillon de références (dont les éternelles « citations obsessions » que constituent la chanson « The Man I love » et Pina Bausch) qui « ont sauvé » l’auteur, archives intimes…
Ce projet-ci est plus méta que jamais puisqu’il adapte librement une pièce de théâtre écrite par François Zabaleta et qu’il jugeait inadaptable faute de moyens. Finalement ce n’est pas ça qui l’a arrêté et il sert ici son habituel « cocktail d’images » pour illustrer sa voix off. A travers sa vaste filmographie, le cinéaste a constamment convié tous les arts dans ses oeuvres filmiques entre cinéma, archives, photographie, animation, théâtre, dessin, peinture. C’est à nouveau le cas pour Toxico même si pour l’occasion François Zabaleta mêle aux images et séquences réalisées spécialement pour le projet des bouts de films précédents inédits, non achevés, abandonnés.
Comme en écho à la relation avec Pavel qui ne se matérialisera jamais vraiment, François Zabaleta convoque ces bouts de métrages qui resteront inachevés et morcelés et y ajoute l’histoire d’un réalisateur (lui en l’occurence) naviguant dans les coulisses du cinéma mais constamment empêché de pouvoir travailler « normalement » (s’affichent sur l’écran des retours amusants de spectateurs qui n’aiment pas trop son cinéma mais qui le lui disent de façon tendre ou des messages de producteurs plus ou moins expéditifs qui lui expliquent qu’il n’y a plus de place aujourd’hui en France pour des auteurs comme lui, des films « À la Godard, Duras, Akerman et toute la clique »).
On n’y avait jamais pensé mais la posture de cinéaste un peu maudit et à la marge de François Zabaleta renvoie quelque part à cette différence qu’ont pu ressentir bien des homosexuels de sa génération. Cela apparait ici de façon assez limpide.
Le cinéphile curieux aura largement de quoi se régaler ici avec une écriture toujours aussi vive, parsemée de traits d’humour piquants qui ne manquent pas de faire réagir et un sens du récit toujours aussi puissant. On notera enfin que Toxico est peut-être le film qui aborde le plus frontalement et avec des mots assez crus la thématique de la sexualité dans l’oeuvre de Zabaleta qui n’a ici pas peur de parler sans détour des pulsions de son personnage. De quoi rafraichir au passage son style et coller parfaitement à l’une des intentions du projet qui consiste à raconter les désirs d’hommes gays de plus de 60 ans souvent invisibilisés aussi bien dans la communauté gay que dans la fiction.
Film produit en 2023 et présenté au Festival Chéries Chéris 2023