FICTIONS LGBT
THE JUDGMENT de Marwan Mokbel : homosexualité et mauvais sort en Egypte
Avec The Judgment, le réalisateur Marwan Mokbel nous offre une proposition de cinéma originale en évoquant l’homophobie violente et persistante en Egypte. Romance, thriller et horreur s’y entrechoquent.
Mo (Junes Zahdi) et Hisham (Freddy Shahin), tous les deux d’origine egyptienne, sont en couple depuis quelques temps et vivent ensemble aux Etats-Unis. Suite au décès du père de Mo et des papiers à signer en personne, ils décident de rentrer au pays. Si Hisham est plutôt content de retrouver sa famille et ses amis, Mo vit ce retour avec beaucoup d’appréhension.
Ils le savent : l’homosexualité est condamnée en Egypte et pour rester en sécurité ils vont devoir se faire passer pour de simples amis. Ils sont accueillis par les parents chaleureux d’Hisham. Si Mo est angoissé par ce séjour ce n’est pas un hasard : il porte encore les stigmates de son enfance où sa différence lui avait valu d’être malmené par sa famille. Il espère, malgré ce lourd passif, pouvoir revoir sa mère. Mais cette dernière s’est volontairement absentée pour ne pas le croiser le temps qu’il règle les papiers suite au décès de son père.
Mo et Hisham ne doivent passer que quelques jours en Egypte mais rapidement les choses basculent. Mo est submergé par une série d’hallucinations effrayantes qui ont l’air de plus en plus réelles : il finit par suspecter que quelqu’un lui a jeté un sort. Hisham fait tout ce qu’il peut pour le rassurer mais petit à petit le couple finit par se retrouver dans la tourmente et potentiellement en danger…
Pour évoquer l’enfer de l’homophobie en Egypte et la faire ressentir au public, le réalisateur Marwan Mokbel nous embarque dans un thriller de plus en plus horrifique avec ce long-métrage inspiré qui détonne.
Impossible de ne pas remarquer la beauté abrasive des deux comédiens principaux, formant un adorable couple auquel on s’attache instantanément. Jouant les amis en public, dès lors qu’ils se retrouvent dans l’intimité leur tendresse donne lieu à des moments intenses de sensualité retenue. On découvrira petit à petit que le rapport au sexe du couple est un peu particulier…
Le panneau d’introduction du film donne le ton, présentant l’homophobie dramatique sévissant en Egypte et informant que là-bas, notamment dans certaines régions, la sorcellerie (bien que considérée comme un péché) est prise au sérieux et parfois pratiquée.
Porté par une mise en scène nerveuse et non dénuée de souffle, le film impose d’emblée une atmosphère tendue, nous faisant redouter que Mo et Hisham soient « démasqués » et que de sérieux ennuis leur tombent dessus. Mais la plus grosse menace va finalement venir d’un étrange sort qui semble avoir été jeté sur le pauvre Mo. Les visions de plus en plus perturbantes s’enchainent, le plongeant progressivement dans une terreur absolue. La descente aux enfers commence et si Hisham décide dans un premier temps de relativiser les choses, il va s’inquiéter de plus en plus en voyant son partenaire sombrer dans la parano et la terreur.
Au réel se substitue une peur parfaitement matérialisée à l’écran, avec des images et situations perturbantes. Si quelques maladresses surviennent ici et là et que la dernière partie s’éparpille un poil, force est de constater que le réalisateur ne manque ni d’audace ni d’idées pour nous coller de véritables frissons et nous marquer avec des images et situations aussi cauchemardesques que poisseuses. Le spectateur, lui aussi, finit par se perdre entre réalité et mauvais sort.
Pour sa sensualité discrète et explosive à la fois, son inventivité, sa faculté à propager une imagerie cauchemardesque redoutable et son propos militant, ce film étrange dans le bon sens du terme mérite les applaudissements.
Film produit en 2023 et présenté au Festival Chéries Chéris 2024