FICTIONS LGBT
LES REINES DU DRAME d’Alexis Langlois : les paillettes et l’enfer
Alexis Langlois frappe très fort pour son premier long-métrage, Les reines du drame. Une love story lesbienne ultra pop qui accède instantanément au statut de film déjà culte.
En l’an 2055, l’ancien youtubeur trash Steevyshady (Bilal Hassani) est de retour sur les écrans, plus botoxé et has been que jamais, prêt à faire la paix avec le passé. Lui qui a toujours été contre l’abrasive romance lesbienne entre son idole, la chanteuse pop française Mimi Madamour (Louiza Aura) et la sensation punk Billie Kohler (Gio Ventura) décide de raconter toute leur histoire, de leurs débuts à leur chute.
Le spectateur retombe ainsi au début des années 2000 où Mimi et Billie rêvent de vivre de la musique et d’entrer dans la lumière en participant à un casting / télé-crochet du genre Popstars. Alors que Billie, anticonformiste et cédant au trac se ramasse, Mimi intrigue les jurés dont Magalie Charmer (Asia Argento), son idole. Bien des années plus tôt, Magalie Charmer était devenue elle aussi une popstar et Mimi est persuadée qu’elle avait une liaison avec l’ancienne icône punk disparue des radars, Elie Moore (Mona Soyoc) qu’elle et Billie adulent.
Avant d’avoir des nouvelles du casting, Mimi et Billie se rapprochent, passent beaucoup de temps ensemble et vivent le début d’une grande passion. Elles se complètent à merveille : Mimi est douce et lisse, Billie est fougueuse et anarchiste. Mais alors qu’elles rêvent de rester ensemble et même sortir un morceau en duo, le destin les rattrape : Mimi est retenue pour le télé-crochet et va en devenir la star. A peine est-elle propulsée dans la lumière qu’elle délaisse Billie. L’équipe autour d’elle la force à cacher sa relation avec sa petite amie et son orientation sexuelle. Mimi se laisse influencer et modeler en chanteuse pop pour ados. Le succès est au rendez-vous, elle ne se pose pas de questions.
Accaparée par sa tournée et aveuglée par le star system qui lui tend les bras, Mimi devient de plus en plus rare et distante avec Billie qui se sent délaissée et qui succombe à ses démons. Elles finissent par se séparer violemment. Le temps passant, le destin va les opposer, non sans ironie : Mimi va peu à peu voir sa carrière dégringoler tandis qu’à l’opposé Billie va connaître un succès inattendu et fulgurant. Pourront-elles se retrouver ?
Ce premier long-métrage peut évoquer les univers queer d’auteurs français comme Bertrand Mandico ou Yann Gonzalez. Mais Alexis Langlois a une arme en plus pour se distinguer : outre la puissance de sa mise en scène ultra kitsch et réjouissante et univers acidulé apte à régaler les cinéphiles LGBT+, il a une touche pop et des références qui peuvent parler au grand public. Les reines du drame réussit le rare tour de force d’être à la fois complètement singulier, décalé, perché tout en étant complètement universel.
Les références pop culture abondent de partout, ont été parfaitement digérées et sont ici revisitées de façon extrêmement ludique et jouissive. Les émissions de télé débiles qu’on a adoré, les clips ringards et aseptisés, les scandales et images chocs ayant fait les choux gras de la presse people : tout y est avec à la fois un profond sens de la dérision et un amour palpable pour les icônes du passé. Si vous avez aimé ou aimez encore Lorie, Britney, Popstars ou Fan 2 (pour ne citer les références que les plus évidentes), vous allez vous régaler. S’il semble constamment savoir où il va via sa technique ou son scénario, ses personnages parfaitement croqués, Alexis Langlois donne aussi l’impression d’être un gosse qui s’éclate en créant une énorme maison de poupées pleine à craquer de divas prêtes à dévorer l’écran.
L’ensemble est archi-pop et divertissant, ne connait pas de temps mort et brille de mille feux et paillettes de par son intensité autant qu’il captive par ses idées de cinéma. On en prend plein les yeux, on en finit plus d’être surpris. On s’amuse, on rit face à un mauvais goût assumé, des répliques démentes, un humour camp mais on est aussi happé par l’histoire d’amour, on vibre avec les héroïnes et on est souvent touché. C’est vraiment rare qu’un film français y arrive et il faut le saluer : TOUT fonctionne ici. Le cast est incroyable, l’univers acidulé nous propulse complètement dans un ailleurs fantaisiste, les BOPS s’enchainent de façon diabolique, le mauvais goût côtoie le grand cinéma. Alexis Langlois se moque et aime en même temps et nous de même jusqu’à une dernière partie en apothéose au monde des has been.
Le rêve naïf de deux aspirantes chanteuses attirée naïvement par la célébrité va être aspiré et déformé par un star system impitoyable. Le monde cruel des émissions de télévision, de la presse trash, des maisons de disque mainstream remplies de marketeux beaufs en prend pour son grande. Alexis Langlois filme ces coulisses comme un film de genre, en dévoilant toute l’horreur dissimulée et les vies brisées derrière des campagnes marketing qui entendent transformer les artistes en produits sans âmes. Perdues dans cette machine infernale, les jeunes chanteuses se laissent ravager et finissent par tomber dans l’auto-destruction à coup de déprimes, addictions et de chirurgie esthétique outrancière.
Cet « OFNI » est clairement un miracle dans le cinéma français, avec une liberté de ton comme on en voit peu. Alexis Langlois crie son amour aux vedettes maudites et crée une galerie de personnages absolument géniale. Outre les deux actrices principales, phénoménales, tous les seconds rôles ont leur moment de gloire. Impossible de ne pas mentionner la performance de Bilal Hassani, complètement dément en Steevy Shady. Une claque.
Film produit en 2024 et présenté au Festival Chéries Chéris 2024 / Sorti en salles le 27 novembre 2024