COURTS
REMEMBER I AM DEAD de Noel Alejandro : mortelle solitude
Depuis plus de 10 ans, Noel Alejandro s’est imposé comme un réalisateur totalement à part. Après des premiers courts qui pouvaient être perçus comme des courts-métrages x gays d’auteur, petit à petit le vidéaste a gagné ses galons de cinéaste, enchainant les projets éclectiques, surprenants, avec toujours la même exigence formelle.
Son dernier film, dont la version « Original cut » est disponible sur son site et approchant d’une durée de 1h, Remember I am dead, étonne une fois de plus. La sexualité, explicite, y est toujours présente mais n’est plus forcément le moteur. Bien que la scène intime soit au centre du métrage, elle est avant tout au service de la mélancolie qui prend le dessus sur tout. Remember I am dead est ainsi une proposition de cinéma à la singularité et l’étrangeté qui va donner du fil à retordre à ceux qui chercheront à quoi d’autre elle pourrait bien ressembler.
Nous y retrouvons Pierre Emö, acteur fétiche et ami de Noel Alejandro, qui incarne le rôle principal, celui de Sagat, un trentenaire vivant seul dans une vaste maison dans une campagne isolée et délaissée. Les gens ont peu à peu délaissé ce trou paumé et on devine facilement que la solitude ronge Sagat qui n’a que pour seule compagnie celle d’Albert (très beau Kody McCree) qui l’aide dans les tâches propres à ses récoltes.
Dès les premières scènes, une atmosphère étrange est tissée, sans musique, nous faisant ressentir le rythme et les sensations de la vie dans une campagne coupée de tout. Puis quelque chose de très bizarre survient : Sagat va au cimetière local et déterre un mort pour l’amener chez lui ! Il s’agit de Roman, son défunt compagnon. De façon inexpliquée, Sagat parvient à le ranimer, tentant de l’arracher au monde des morts pour combler son manque affectif. Mais Roman, s’il revient doucement à lui, n’est plus comme avant : il est un mort vivant, il souffre, il a du mal à parler, à bouger et à se déplacer. Sagat réussira-t-il à le garder auprès de lui ?
Cultivant le mystère, cette nouvelle proposition de Noel Alejandro pourra être ouverte à de multiples interprétations et cache un certain nombre de couches et de surprises. Le réalisateur retrouve des thématiques chères à son cinéma : la mélancolie, la peur de la solitude, l’absence, la mort, le deuil, le goût de paradis perdu. Un zombie gay qui revient pour un peu de plaisir, on pourrait penser au délirant L.A Zombie de Bruce LaBruce (avec François Sagat). Mais les deux films ont peu de choses en commun au final, Noel Alejandro (qui ne s’interdit pas quelques effets qui font sourire avec une petite dose d’humour noir) prenant son sujet avec beaucoup de sérieux et de foi dans le cinéma, laissant des sentiments retenus, presque étouffants, se dévoiler peu à peu à l’écran, souvent sans avoir recours aux mots.
L’obscurité semble infinie dans Remember I am dead qui raconte l’incapacité à accepter le manque, l’absence de l’autre. Si Sagat ne se voit sûrement pas vivre en ville, il souffre du poids d’une vie isolée et solitaire. Petit à petit, son besoin de ne plus être seul laisse apparaître un vertige qui pourrait ne pas être loin d’une certaine folie. Qu’est-il arrivé à Roman ? Comment se passait vraiment leur relation ? Le film donne quelques indices et il se pourrait que les réponses flirtent avec le morbide.
Une fois encore, Pierre Emö est aussi beau que juste dans son interprétation, qui est ici toute en retenue, très intériorisée et en même temps intense. La scène d’amour explicite (car il s’agit de cela avant tout, d’amour, d’un besoin si fort d’intimité et de fusion qu’il peut rimer avec le désespoir) est centrale et est superbement filmée, avec une photographie parfaite et un travail sur le son enivrant. Le sexe devient alors un terrain hors du temps, hors du monde, entre la vie et la mort, où les sentiments et les sensations les plus forts et les plus complexes s’entrechoquent en même temps que le plaisir.
Sans mal, Remember I am dead s’inscrit comme étant l’un des films gays les plus particuliers de 2024 et laisse son étrange empreinte pour un moment.
Produit en 2024 / Le film est disponible parmi de nombreux autres sur le site de Noel Alejandro