CINEMA

ALL I DESIRE de Douglas Sirk : se donner une seconde chance

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Naomi Murdoch (Barbara Stanwyck) a quitté la bourgade américaine de Riverside au début des années 1900, laissant derrière elle son mari Henry (Richard Carlson) et ses trois enfants, Lily (Lori Nelson), Joyce (Marcia Henderson) et Ted (Billy Gray). Pourquoi cette fuite vers la ville ? Officiellement, Naomi désirait quitter son trou paumé pour se donner les moyens de poursuivre son rêve de devenir actrice. Officieusement, Naomi tenait aussi et surtout à éviter à sa famille le poids des ragots, grandissants suite à l’ébruitement de sa liaison avec le rustre Dutch (Lyle Bettger).

Dix ans plus tard, Naomi est dans sa loge. Elle n’est pas devenue l’actrice qu’elle rêvait de devenir. Elle ne participe qu’à de grossiers vaudevilles. Quand une collègue lui transmet une lettre qui vient d’arriver, rédigée par sa fille Lily, la comédienne déchue n’en croit pas ses yeux. Lily rêve à son tour de devenir actrice et demande à sa mère de venir la voir dans sa pièce de fin d’année du lycée. Emue et n’en pouvant plus d’être coupée des siens, Naomi décide de retourner à Riverside pour l’occasion. Mais son échec artistique la tracasse. Sa collègue lui suggère de jouer le rôle d’une actrice ayant réussi. Naomi fait donc son retour en grandes pompes, avec une superbe garde robe, prête à en mettre plein la vue à tout le monde.

Son comeback vient définitivement chambouler le quotidien de son ancien mari Henry. Ce dernier s’était rapproché de la professeur de théâtre de Lily…Mais quand il revoit Naomi, avec tout son charisme, après l’énervement, la rancune, resurgit la fascination. Les enfants, eux, ont des réactions contrastées. Lily est folle de joie que sa mère se soit déplacée pour la voir. Elle rêve de devenir comme elle, ignorant tout de l’envers du décor, des revers du métier d’actrice. Joyce, fille aînée, probablement celle qui a le plus souffert de l’absence de Naomi, l’a à peine accueillie qu’elle lui conseille de déguerpir pour ne pas leur gâcher la vie. Encore tout petit, probablement abandonné alors qu’il n’était qu’un bébé, le petit Ted semble pour sa part dans un état de confusion.

En revenant au milieu de sa terre natale, Naomi retrouve le ciment de sa vie, s’émeut de pouvoir être en face d’une famille qui lui a tant manqué. Mais très vite la petite ville se remet à parler d’elle. Le vieil amant Dutch tient à la revoir, bien désireux de la faire flancher à nouveau. Plus ou moins malgré elle, Naomi va une fois de plus susciter le scandale…

Premier mélo de Douglas Sirk pour les studios Universal, All I desire est un drame classique particulièrement intense, disposant d’une mise en scène inspirée et d’un personnage principal fort. Barbara Stanwyck est parfaite en actrice ratée, faisant tout son possible pour laisser croire qu’elle a réussi dans la vie, et ainsi se donner l’espoir de reconquérir une famille qu’elle a elle-même abandonnée. Arrivant à Riverside en se conditionnant pour jouer le rôle d’une femme auréolée de succès, la blonde sulfureuse amène avec elle tous les éléments du théâtre, provoquant d’un battement de cil de grandes émotions et dilemmes. Les habitants de la ville, véritable vautours en quête de sensations fortes, se réjouissent de son retour : ils vont avoir de quoi jaser !

Ainsi, pendant le spectacle de la jeune Lily, toute la ville est dans la pièce. Non pas pour son spectacle à elle mais plutôt pour celui bien réel de sa mère, de retour, coincée entre son ancien mari et son ancien amant. La scène du spectacle de Lily est d’ailleurs très belle car elle permet de réaliser à quel point Naomi aime sa famille, autant qu’elle aime l’art, le jeu. Découvrant que sa fille a tout le talent pour réussir, Naomi s’extasie avant de tempérer sa progéniture qui se voit déjà repartir avec elle pour tenter sa chance en ville.

all i desire film

C’est une histoire de désirs et de compromis. Autrefois, Naomi aimait son mari Henry mais en tant que simple principal du lycée alentour, il ne parvenait plus à la faire rêver. Elle s’évada alors dans les bras de Dutch, amant vénéneux, excitant, tout en rêvant de poursuivre son rêve de gloire. Dix ans plus tard, la gloire n’est pas au rendez-vous et Naomi réalise à quel point elle aimerait lâcher sa vie de saltimbanque pour vivre à nouveau à Riverside. Mais Dutch ne cesse de venir la tenter, la provoquer (scènes très réussies, malsaines, dotées d’une subtile tension sexuelle). Naomi aimerait suivre son désir de rédemption, retrouver Henry et ses enfants, mais est-elle capable de s’en donner les moyens, de se dire qu’elle le mérite ?

Si All I desire comporte plusieurs scènes intenses de drame (on retiendra notamment le puissant passage où Naomi dévoile à Lily qu’elle a loupé sa carrière et qu’elle ferait mieux de ne pas suivre son exemple) , la fin se révèlera étonnamment optimiste. Un optimisme qui fait réellement chaud au cœur, auquel on a envie de croire car tout le métrage durant on ne demandait qu’à voir la complexe et instable héroïne se relever. Accepter les aléas de la vie, composer avec ses désillusions et rêves brisés, trouver et se satisfaire de la beauté là où elle est : c’est simple, c’est beau et c’est ici très fort.

Film sorti en 1953 et disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3