FICTIONS LGBT
AMOR ETERNO de Marçal Forés : dévoré
Carlos (Joan Bentallé), la quarantaine, donne des cours de chinois à des étudiants en Espagne. Il consacre la majorité de son temps libre au cruising, se rendant régulièrement dans les bois où il a trouvé une ère de drague. Toutes les sexualités s’y expriment dans une relative sauvagerie. Lors de l’un de ses périples, il croise le regard de l’un de ses étudiants, l’introverti et un peu bizarre Toni (Aimar Vega).
Réalisant que son prof, qui est plutôt bel homme, est gay, le jeune homme essaie d’attirer son attention. Un soir, il prétexte être livré à lui-même et dans l’incapacité de rentrer chez lui, demandant à Carlos de le laisser entrer dans sa voiture. Ils finissent par coucher ensemble. Pour le quadra, il ne s’agit que d’un coup d’un soir : il n’a jamais cherché l’amour et songe déjà à trouver d’autres garçons avec qui s’amuser. Mais pour Toni ce qui s’est passé n’est pas anodin. Il est tombé amoureux et ne va pas le lâcher. Ce que le professeur ignore, c’est que Toni appartient à une bande qui se livre à d’étranges rituels…
Encore confidentiel en France, Marçal Forés est pourtant l’un des jeunes réalisateurs espagnols les plus prometteurs de ces dernières années. Son premier long-métrage, Animals, était une véritable révélation. Avec Amor eterno, le cinéaste délivre une oeuvre tout aussi étrange et mélancolique, encore plus radicale. La forme est très forte, notamment lors des scènes dans les bois, drôle de mélange entre L’inconnu du lac, un court de Antonio da Silva ou des tableaux de Jérôme Bosch. Très cinématographique et charnel, le long-métrage pose aussi d’emblée (avec une bande-son qui se plait à jouer de la dissonance) un certain malaise, une noirceur. En guise d’introduction, on pénètre dans une classe où des élèves dissertent sur l’amour. Est évoqué cet amour éternel, tant fantasmé, celui qui dès le premier regard donne lieu à une passion dévorante dont on ne peut envisager la fin. Ce regard, le jeune Toni pense le vivre et le partager avec Carlos, sexy quadra et accessoirement son professeur. Mais ce n’est pas réciproque…
Le portrait du quarantenaire n’est pas tendre. C’est un homme très porté sur le sexe, qui ne pense qu’à consommer. Il ne recouchera avec Toni que par défaut, quand il ne trouvera personne d’autre avec qui s’amuser. En opposition, le jeune étudiant est montré comme un romantique dont la pureté des sentiments contraste avec un caractère obsessionnel. Dans les parages, on parle de personnes retrouvées mangées vivantes par des loups. Dans les faits, il n’en est rien : c’est la bande de Toni que l’on devine être à l’origine des crimes. Jouant du mystère et de la suggestion, distillant une atmosphère assurément malsaine, l’oeuvre nous plonge au coeur d’un énigmatique groupe de jeunes cannibales. Ici la dévoration qui peut aller de pair avec l’amour fou est à prendre dans tous les sens du terme.
Marçal Forés joue de la lenteur pour imposer un climat unique et dérangeant. Le métrage ne durant pas plus d’une heure dix, il n’en pâtit pas et au contraire, pour les cinéphiles exigeants qui n’ont pas peur de baisser la garde et de s’abandonner dans une expérience peu confortable , il en tire une sorte de grâce. Petit à petit nous basculons en plein cauchemar, les différents niveaux de bestialité s’opposent, la sauvagerie prend le dessus. Porté par une bande-originale s’autorisant quelques étonnantes envolées pop, Amor eterno est de ces films inclassables, qui scindent, qui provoquent, jouent davantage sur la sensation que sur les dialogues. Une abstraction primitive, déroutante, audacieuse. Curieux qui n’ont pas peur de l’obscurité, ne pas s’abstenir !
Film produit en 2014 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen