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BECOMING KARL LAGERFELD : une série biopic gay touchante

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Biopic romancé inspiré du roman Kaiser Karl de Raphaëlle Bacqué, la série Becoming Karl Lagerfeld retrace la lente ascension du célèbre couturier et styliste allemand à travers ses relations clés, entre 1971 et 1981, avec sa mère, son ancien ami Yves Saint-Laurent, sa collaboratrice et amie Gabrielle Aghion et aussi et surtout le premier grand amour de sa vie, Jacques de Bascher. 

1971. Karl Lagerfeld (Daniel Brühl) vit dans un luxueux appartement avec sa mère et collabore avec son amie Gabrielle Aghion (Agnès Jaoui) pour la marque Chloé. Ayant instauré le prêt à porter en France, il est auréolé d’un certain succès. Mais cette réussite ne le satisfait pas et il jalouse sans l’avouer le prestige de son ancien ami proche Yves Saint-Laurent (Arnaud Valois) dont le génie est salué de tous et qui a réussi à se faire un nom dans la haute couture. Amis de jeunesse, jadis très proches, Karl et Yves se sont éloignés l’un de l’autre quand l’homme d’affaires Pierre Bergé (Alex Lutz) est entré dans la vie de ce dernier. 

S’il a contribué à propulser Yves Saint-Laurent vers les sommets, Pierre Bergé ne l’a pas rendu heureux pour autant, bien loin de là. Très instable émotionnellement et parfois mentalement, le talentueux Saint-Laurent est rongé par un certain mal de vivre et a tendance à se perdre dans les excès. Pierre Bergé tolère ses sorties de route et ses infidélités mais le tient en laisse par son statut indispensable pour ses affaires. Il est le ciment de son succès et il le protège en quelque sorte. 

Karl Lagerfeld, lui, reste un mystère pour la plupart des gens. Un soir, lors d’une sortie dans un club, il tape dans l’oeil du jeune Jacques de Bascher (Théodore Pellerin), un minet de la petite bourgeoisie fraichement débarqué à Paris. Subjugué, Jacques essaie de l’approcher mais on n’accède pas aussi facilement à pareil homme d’influence. Il décide de lui écrire une lettre et parvient à attirer son attention. Dès leur première rencontre, Jacques intrigue Karl. Car il est jeune, beau mais surtout car il l’amuse, le divertit. Il a du répondant, il est spontané, frais, pas comme les autres. Si physiquement rien ne se concrétise entre eux, Karl se satisfait pleinement de leurs rendez-vous, sorties et discussions et se met à l’entretenir spontanément, lui payant un bel appartement. Il se met aussi à « le sortir ».  C’est ainsi que Jacques croise le chemin d’Yves Saint-Laurent. 

becoming karl lagerfeld série gay

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Comme il est bien connu, une sorte de triangle sentimental (voire un carré si l’on inclut Pierre Bergé) va se mettre en place entre Karl, Yves et Jacques. Si Jacques ne couche pas avec Karl, il va finir par entamer une liaison très charnelle et subversive avec Yves qui va devenir accro et trop s’éprendre de lui. C’est sans aucun doute la pire chose que pouvait faire Jacques à Karl, le tromper avec l’un des seuls amis qu’il ait eu dans sa vie. Et pourtant, Lagerfeld va passer outre… 

La relation entre Karl Lagerfeld et Jacques de Bascher est définitivement au premier plan de la série, qui au final est autant sur l’un que sur l’autre. Elle montre à quel point ces deux personnalités contraires se mariaient parfaitement et comment cette relation singulière a pratiquement résisté à tout. 

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Outre la curiosité de découvrir l’ascension de Karl Lagerfeld et d’en savoir plus sur sa personnalité secrète et complexe, assurément ambivalente, cette fiction séduit surtout par son récit d’une romance gay comme on en voit peu. S’il ne brandissait aucune étiquette, Karl Lagerfeld est dépeint ici comme une personne asexuelle. Avoir un rapport charnel avec Jacques ne l’intéresse pas voire le mortifie mais cela ne l’empêche pas de l’aimer, à sa manière. Les deux hommes créent petit à petit une relation unique, avec leurs propres codes. Karl tolère le côté volage et libertin de Jacques, le laisse mener une vie de débauche, cède parfois à ses caprices et Jacques accepte de régler sa vie sur le rythme du très occupé styliste et homme d’affaires. Quand il l’appelle et a besoin de lui, il rapplique.

Ces deux solitudes qui ne cessent de se croiser, qui parfois ne font plus qu’une et qui d’autres fois s’opposent, sont au coeur de Becoming Karl Lagerfeld qui nous offre de nombreuses scènes subtiles et touchantes où les émotions profondes passent par les regards, par de petits gestes tendres. C’est peu dire que Daniel Brühl et Théodore Pellerin sont largement à la hauteur de leurs rôles. La qualité de l’interprétation est par ailleurs l’une des plus grosses qualité de cette série de 6 épisodes dont on aurait aimé qu’elle soit plus longue. Les seconds rôles sont au niveau : Arnaud Valois campe un étonnant Yves Saint-Laurent qui suscite le malaise et le trouble à chaque apparition (à la fois touchant de vulnérabilité et douloureux à regarder), Alex Lutz est parfaitement abject en Pierre Bergé et Agnès Jaoui très juste et touchante dans le rôle de l’amie et partenaire très cash Gabrielle Aghion pour ne citer qu’eux. 

La réalisation est assez sobre et élégante sans être trop académique, s’autorisant quelques passages atmosphériques du plus bel effet, la bande-originale est soignée et l’écriture, si elle peut prendre ses libertés avec la réalité, est belle, avec notamment des dialogues qui font souvent mouche et touchent souvent droit au coeur. 

becoming karl lagerfeld série gay

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Les relations entre les personnages sont nuancées, le style de la série souhaite coller à la personnalité fuyante, mystérieuse et souvent par surprise attachante de Karl Lagerfeld. Ce dernier n’est pas ménagé et le portrait qui est fait de lui est riche en zones de gris. On voit son talent, ses bonnes intuitions, sa capacité à tracer son chemin, ses succès comme ses échecs, ses petites joies comme ses moments d’amertume. Ce qui émerge, c’est la peinture d’un homme qui veut se faire un nom, qui veut le prestige, la reconnaissance bien qu’il feigne se ficher de tout. Et surtout Lagerfeld apparait comme une personne qui souhaite rester le plus possible dans le contrôle. L’une des scènes les plus dures de la série le montre faisant exploser toute possibilité d’émancipation de Jacques de Bascher de peur qu’il ne puisse plus un jour avoir besoin de lui. Fidèle et généreux envers ses proches, Karl Lagerfeld pouvait aussi être imprévisible et ne servir que ses propres intérêts, tout reprendre d’un coup, de façon aussi abrupte que cruelle. Ses rapports avec Jacques de Bascher, Yves Saint-Laurent et même sa mère (qu’il laissera mourir seule) étaient tous empreints d’une certaine ambiguïté. Entre sincérité et égoïsme, Karl Lagerfeld avançait parfois sans le vouloir en accélérant la destruction de ceux qu’il aimait. 

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Si on aurait volontiers souhaité en voir davantage sur l’aspect couture / travail (la série est beaucoup plus focalisée sur l’intime), Becoming Karl Lagerfeld est un portrait fascinant, avec un ton tout particulier, qui nous replonge parfaitement dans l’effervescence des années 1970. A voir. 

Série sortie en 2024 sur Disney + 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3