CINEMA

BIBLE ! de Wakefield Poole : liberté sensuelle

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Quand le réalisateur des films gays cultes Boys in the sand et Bijou s’attaque à des passages de la Bible pour en tirer une oeuvre charnelle, forcément cela suscite la curiosité. Voici donc BIBLE ! de Wakefield Poole.

Le cinéaste trouvait que les femmes avaient trop souvent le mauvais rôle dans ces écrits sacrés et souhaitait avec ce film leur rendre justice, les libérer d’une certaine culpabilité. 4 histoires, aux durées variables, se succèdent, confrontant hommes et femmes dans une sorte de ballet, parfaitement chorégraphié, avec entre autres des musiques signées Vivaldi ou Tchaikovski.

Tout commence par un homme. Adam sort de sa caverne et avance vers la mer, l’Eden. Plongés dans une atmosphère bucolique, nous assistons, émerveillés, à sa rencontre avec Eve. La première femme, le premier baiser, les premières caresses, le premier plaisir charnel. Wakefield Poole omet volontairement toute faute, toute conséquence : l’acte sexuel est ici beau et pur. Moment suspendu.

Succède à cette ouverture enchanteresse le segment de Bethsabée, incarnée par la fabuleuse Georgina Spelvin (l’inoubliable héroïne du classique x hétéro Devil in Miss Jones). Dans sa belle demeure, à l’autre bout de la table de la salle à manger, cachée derrière les multiples mets, elle tente d’attirer l’attention de son mari de soldat. Mais celui-ci ne la remarque jamais et n’a d’yeux que pour une danseuse qui lui offre un numéro dès qu’il la sonne. Bethsabée tente comme elle peut de se mettre en avant et la scène devient hilarante tant elle se ridiculise malgré elle. Poole joue avec brio du burlesque. Précisons que tout le long-métrage est muet, n’est fait que de son, de musique, rendant toute leur puissance aux images. On retrouve avec ce segment ce qui pouvait faire le sel des films muets. Sauf qu’ici la dimension burlesque voulue se mêle à un érotisme revendiqué. Alors que le soldat part vaquer à ses occupations, Bethsabée remarque qu’un autre homme (qui est sensé être le roi David) est en train de l’observer. D’abord choquée, puis flattée, elle s’offre à son regard, se baignant nue avant de paniquer, son mari pouvant revenir d’une minute à l’autre. Péripéties bourrées de drôlerie, charme de Georgina Spelvin, danse maladroite des corps, couleurs somptueuses : tout y est.

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Après ce récit étonnamment comique surgit le grand moment de bravoure du film. Le segment dédié à Samson et Dalila. Après qu’il ait tué une sorte de nain, Samson devient la cible de Dalila qui élabore un plan machiavélique pour venger l’innocent petit homme. Wakefield Poole a choisi pour interpréter Dalila une actrice noire, somptueuse et sensuelle. Si déjà auparavant on parlait de ballet, de chorégraphie, en évoquant les films de Poole, ici on assiste à une danse vers la vengeance et la mort à couper le souffle. Le segment nous plonge dans un ailleurs, un univers fantasmagorique qui fascine de bout en bout. Samson se laisse séduire par Dalila et la suit, presque hypnotisé, avançant peu à peu, au ralenti, vers sa propre perte. Le sexe comme rituel, autre spécificité des films du cinéaste, est là aussi une évidence. Samson déborde d’érotisme, chaque partie de son corps est fétichisée. Dans ce qui ressemble à un songe, il se laisse porter, dévêtir avant de prendre le poison qui lui sera fatal. A elle seule, cette partie de BIBLE ! relève du chef d’oeuvre. Virtuose, d’une magie comme seul le cinéma peut en offrir. On est quelque part entre Pasolini et Kenneth Anger. Grand.

Le métrage s’achève de façon irrévérencieuse sur Marie, poursuivie par un ange qui est visiblement celui qui va lui annoncer le plus fameux des heureux événements. Quand l’ange la rattrape, c’est l’extase. Suit un panneau « Bethléem Inn – No vacancy » évoquant les hôtels miteux où les couples vont parfois se cacher pour s’adonner à la luxure. Cette fin assurément provocante ne masque en rien un ensemble d’une beauté sidérante, nous faisant entrer dans une véritable transe. On se demande comment l’oeuvre d’un pareil esthète, passionnante d’un point de vue cinématographique a pu passer à la trappe et disparaître des radars cinéphiles. Le film fut un bide phénoménal lors de sa sortie américaine, rejeté pour son parti pris de mêler religion et érotisme. Les amateurs de films x étaient déçus de n’y trouver aucune scène réellement explicite, les cinéphiles ne se déplacèrent pas pour découvrir le dernier projet d’un artiste qu’ils stigmatisaient comme simple pornographe gay. Dommage tant le talent de Poole éclate ici, démontrant que si son œuvre est intimement liée à la sexualité, qu’elle utilise parfois le langage visuel de la pornographie, elle dépasse le genre pour toucher au sublime, à l’art tout court. Espérons que le temps finisse par lui rendre à lui aussi justice.

Film produit en 1974 et disponible en Import DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3