CINEMA
CELLE QUE VOUS CROYEZ de Safy Nebbou : virtuel toxique
Portrait d’une femme blessée et perturbée prise dans la spirale infernale du monde virtuel, Celle que vous croyez, adapté du roman de Camille Laurens, lorgne avec brio du côté du thriller avec une Juliette Binoche au sommet.
Claire (Juliette Binoche), prof approchant de la cinquantaine, a bien du mal à accepter que sa jeunesse pourrait être derrière elle. Cette femme amoureuse de l’amour, mère divorcée, a encore un peu de mal à se remettre de sa séparation avec son ancien mari qui l’a un jour délaissée pour partir avec une femme plus jeune. Elle trompe sa solitude en voyant régulièrement Ludo (Guillaume Gouix), un garçon fougueux et plus jeune. Mais ce dernier se révèle uniquement intéressé par l’aspect charnel de leurs rapports et dès que vient le moment de passer un week end à deux comme un couple ordinaire, il se débrouille pour prendre la fuite.
Souffrant d’un profond manque d’amour, Claire finit un soir par créer un faux profil sur Facebook. Elle devient Clara Antunes, une jeune femme de 24 ans. Et se met à dialoguer avec Alex (François Civil), un des amis de Ludo, un jeune photographe visiblement romantique. Pendant des semaines, ils vont s’écrire, se téléphoner, apprendre à se connaître. Claire se jette sans retenue dans cet échange fantasmatique et ment de plus en plus. A tel point qu’elle a parfois l’impression de devenir Clara. Mais alors qu’Alex, amoureux sans même l’avoir rencontrée et n’imaginant pas une seconde qu’il est manipulé, fait pression pour qu’ils se rencontrent enfin, le piège que Claire a mis en place va se retourner contre elle au-delà de tout ce qu’elle aurait pu imaginer.
De la première à la dernière séquence, Juliette Binoche est excellente dans ce rôle de femme qui met mal à l’aise, sorte de monstre émotionnel abreuvé aux réseaux sociaux. Claire est un personnage qui peut résonner chez beaucoup car il témoigne, à l’extrême, du vertige du virtuel pour tenter de pallier à un manque affectif qui touche beaucoup de personnes dans nos sociétés modernes où les sentiments sont floués. Les réseaux sociaux et les applications ont rendu les rapports humains et sentimentaux plus complexes, expéditifs, désincarnés.
Tout le monde veut toujours plus, tout le monde rêve et désire la jeunesse. Tout le monde devient un produit, un profil qu’on essaie de rendre séduisant. Claire en a tellement pris dans la poire que son image à elle, elle n’y croit plus vraiment. Alors elle s’en invente une autre. Si on peut au départ se laisser toucher par cette femme sentimentalement à terre, elle pousse progressivement de plus en plus loin le curseur de la folie et devient une personne toxique, faisant du mal à elle-même autant qu’aux autres.
Le film matérialise très bien cette étrange chose que peut être la naissance de sentiments dans les mondes virtuels. Des mots, des voix, des histoires de personnes désireuses d’aimer, de rêver. On fuit le réel, on devient accro mais le réel revient au galop et finit par rendre les choses difficilement supportables. Se déploie un jeu du chat et de la souris tendu entre Claire et Alex.
L’intrigue ne manque pas de rebondissements, permettant au film de prendre à l’instar de son héroïne plusieurs visages, jouant du vrai et du faux avant que tous les masques ne tombent dans son ultime partie. Dans un second rôle de psy, Nicole Garcia observe les dégâts avec une impartialité salutaire. « Celle que vous croyez » fait un peu froid dans le dos, gravant dans nos mirettes le visage d’une Juliette Binoche à terre et en larmes, victime et bourreau des temps modernes et de sentiments plus complexes à aborder que jamais.
Film sorti le 27 février 2019