FICTIONS LGBT
CÉRÉMONIE SECRÈTE de Joseph Losey : femmes possédées
Des jambes féminines étendues sur un lit, une musique enfantine. Une femme ôtant sa perruque blonde face au miroir, saisissant quelques billets posés sur le meuble. Les chaussures de ville d’un homme qui quitte la maison. La femme qui se désinfecte le visage. En quelques plans, Joseph Losey nous présente Léonora le personnage principal de son film Cérémonie Secrète. Une prostituée. Elle est campée par une Elizabeth Taylor un peu bouffie, liftée. Sa toilette achevée, la voilà déguisée en bourgeoise bigote. Elle prend le bus, est observée par une jeune femme qui semble bouleversée par sa présence. Elle va se recueillir sur la tombe d’une petite fille dont nous avions vus quelques photos précédemment. Léonora a perdu sa fille, faute d’attention. Elle l’a laissé se noyer. La culpabilité la ronge et elle passe beaucoup de son temps à prier. Au cimetière, elle recroise le chemin de la jeune femme du bus.
C’est Cenci, une jeune femme totalement à fleur de peau. Cenci l’invite chez elle, elle prend Léonora pour sa mère décédée, Margaret. La ressemblance entre Léonora et Margaret est en effet frappante. Léonora se laisse entrainer, elle découvre la luxueuse maison de Cenci, enfant abandonnée qui affiche désormais une vingtaine fragile. Cenci a besoin d’une mère de substitution et Léonora ressemble terriblement à la défunte. Léonora a besoin d’une fille de substitution et avec sa petite frange, Cenci n’est pas sans lui rappeler son bébé perdu. Commence alors cette Cérémonie Secrète où les deux femmes jouent à être ce qu’elles ne sont pas, préférant fuir une réalité trop destructrice. D’abord intéressée par la fortune apparente de Cenci, Léonora va progressivement s’attacher à la jeune femme, être la complice de ses rituels étranges. Mais Cenci est encore plus fragile qu’elle ne parait. Elle parle avec des esprits, se réfugie dans un monde imaginaire sombre. Alors que les tantes de Cenci rêvent de sa fortune et que son beau père revient, rodant autour de la maison comme un vautour, la relation artificielle entre les deux femmes va devenir de plus en plus malsaine…
En découvrant Cérémonie Secrète, on pense directement à The servant, Accident et un peu à Eva : ces films de Losey qui racontent la destruction d’un être par un autre. Sauf qu’ici Léonora et Cenci sont bien deux à se détruire. Il y a un rapport d’attraction/répulsion, d’addiction des deux côtés. Pour cette production bien plus hollywoodienne que ses précédentes, le réalisateur s’est entouré d’un casting de stars qui fait rêver : Elizabeth Taylor, Mia Farrow et Robert Mitchum. Et ce qui se révèle rapidement jouissif ici, c’est à quel point Joseph Losey joue avec les figures de chacun. Elizabeth Taylor est particulièrement malmenée : son personnage est vulgaire, on la surprend en train de roter, le personnage de Robert Mitchum la traite de grosse vache, Mia Farrow critique sa façon de se coiffer qui est celle d’une « pute ». Le duel Taylor/Farrow est un pur plaisir cinéphilique, surtout lorsque l’on assiste à des échanges de répliques acides, transformant les ladies en drama queens. Elizabeth Taylor qui gratifie Mia Farrow d’un « Little Bitch », Elizabeth Taylor qui s’observe et se trouve bouffie…Si ce côté « cassage de mythe » s’avère particulièrement ludique, il serait dommage de ne résumer Cérémonie Secrète qu’à cet aspect. Car nous sommes bel et bien là face à un grand film.
Un film de rituels, un film d’ambiances. Le spectateur est rapidement perdu , ne sait pas vers quoi il va, chaque personnage ayant sa part d’ombre et de névroses. Dans cette vaste demeure, règne un climat angoissant et dérangeant, flirtant de temps en temps avec le surnaturel. La religion est toujours en fond, les esprits hantent. Le choix de Mia Farrow dans le rôle de Cenci contribue à instaurer un malaise, elle qui fut la star de Rosemary’s Baby. Va-t-on dériver vers un film aux accents de fantastique, tomber dans le film de genre ou rester dans un duel psychologique ? Les amateurs du cinéma de Losey savent bien qu’il préfère généralement la dernière option, creusant ses personnages à l’extrême, les poussant dans leurs retranchements. Ainsi assistons-nous à un duel de femmes étouffant, constamment au bord de la folie, où l’identité se perd au profit du fantasme morbide.
En arrière plan rode, comme dit précédemment, le personnage de Robert Mitchum, Albert. Là encore difficile de se détacher de la figure de celui que l’on avait vu dans La nuit du chasseur. Il guette, pue la perversité à des kilomètres, est là pour attraper l’enfant qu’est restée Cenci. On retrouve même lors d’une scène Elizabeth Taylor face à lui avec un couteau… Film étrange, suffoquant, dérangeant, Cérémonie secrète vaut autant pour sa capacité à nous plonger en eaux troubles que pour le voyage cinéphilique qu’il offre. Une chose est certaine, on ne ressort pas du film indemne. Rares sont les œuvres aussi puissantes, acides et étranges que celle-ci. Un film qui nous hante.
Film produit en 1967, sorti en 1969 en France et disponible en DVD