COURTS
DEAR FATHER de Noel Alejandro : le manque du père
Nouveau volet de sa série de courts-métrages gays Bedtime Stories sondant l’intimité, Dear Father est l’occasion pour Noel Alejandro de s’attaquer à la figure du daddy. Avec sa muse Pierre Emö dans le premier rôle, c’est également son premier film majoritairement en français.
L’introduction nous entraîne en Allemagne où le beau trentenaire Paul (Pierre Emö), écrivain qui vient de sortir son premier roman, se trouve pour participer à un salon du livre. Sauf qu’il n’a plus du tout envie d’y aller : revenir en Allemagne le confronte au souvenir de son père disparu. Un père qui lui a à l’évidence beaucoup manqué comme il le confie, façon rétro, à un dictaphone.
Alors qu’il poursuit l’enregistrement de sa réflexion et de ses souvenirs intérieurs liés à son paternel, Paul croit entendre frapper à la porte. Puis il s’échappe définitivement au coeur d’une rêverie alors qu’il se voit allongé sur son lit, face à un père idéalisé et érotisé campé par le très très sexy allemand Frank Bertram.
Sans trop entrer dans les détails, vous aurez compris que ce film d’environ 25 minutes joue avec un fantasme enfoui, interdit, tabou. Certains pourront être choqués mais comme le dit Noel Alejandro lui-même : « quand il s’agit de rêves et d’imaginaire, qui sommes-nous pour juger ? ».
Comme d’habitude, les amateurs du cinéma diablement sensuel du vidéaste espagnol retrouveront la folle sensualité de sa mise en scène et une alchimie aussi forte que palpable entre les deux performers à l’écran.
C’est l’occasion de revenir sur ce fantasme de daddy qui ,rappelons-le, est littéralement un fantasme du père, d’une figure paternelle dominante, d’autorité, une figure protectrice aussi. On peut se demander d’où vient ce fantasme que certains gays peuvent avoir pour ces hommes plus âgés qui ont l’âge d’être leur papa. Non pas qu’ils fantasment directement sur celui-ci mais peut-être que de près ou de loin, ils recherchent un lien qui manque avec une figure masculine plus âgée, peut-être qu’ils expient par la sexualité des blessures. Rien n’est jamais évident, simple ou franchement rationnel, explicable, dans notre sexualité. Le cinéma a ce pouvoir de permettre de transgresser les tabous et les barrières, d’interroger sans se préoccuper de la morale ou de l’interdit. Au spectateur de trancher.
Une chose est certaine : cela nous change des productions mainstream qui ont usé jusqu’à la corde le roleplay dad-son, souvent de façon très vulgaire voire ridicule. Ici c’est doux, poétique, on sent davantage la subversion et le trouble. Bref, encore une réussite.
Film sorti en 2020 sur le site de Noel Alejandro (noelalejandrofilms.com)