FICTIONS LGBT
DEPARTURE de Andrew Steggall : tournant
Beatrice (Juliet Stevenson), femme anglaise, débarque avec son fils adolescent Elliot (Alex Lawther) dans un petit village du Sud de la France. Ils y possèdent une très belle résidence secondaire. Mais il ne s’agit pas là de vacances : la mère et le fils sont dans les parages pour finaliser la vente de la maison. Une vente qui à l’évidence peine la mère de famille et qui cache un déchirement plus souterrain : elle sent que l’heure est venue pour elle et son époux (qui n’arrivera que quelques jours plus tard) de se séparer, et elle n’en a aucune envie.
Alors que sa mère tente de faire bonne figure mais masque difficilement sa vulnérabilité et ses angoisses, le jeune Elliot ère seul dans le village. Il est en plein dans l’âge où il se découvre, à tous les niveaux. Se rêvant en auteur ou en poète, il marche, observe, son petit carnet jamais loin de lui au cas où l’inspiration surviendrait. Lors d’une ballade, il est happé par la beauté d’un garçon d’une vingtaine d’années qu’il surprend en train de se baigner nu dans un lac. Il s’appelle Clément (Phénix Brossard), est dans les environs pour passer un peu de temps chez sa tante suite à une violente crise familiale.
Clément ne semble pas vraiment s’intéresser à Elliot, trop sophistiqué, maniéré et « prise de tête » à son goût. Mais le lendemain de leur rencontre, il débarque chez lui pour l’aider dans les tâches que requiert la vente de la maison. Contre toute attente, une amitié ambiguë se tisse entre les deux garçons. Sans le savoir, Clément va jouer un rôle capital en cette période de changements annoncée : pour Elliot, il représente un premier amour plein de désir; pour Beatrice, il est cette figure qui fait ressurgir la nostalgie des jeunes années. Un petit séisme intime est en marche…
Premier long-métrage du réalisateur Andrew Steggall, « Departure » est une oeuvre d’esthète. Pas un plan n’est à jeter, l’ensemble est formellement d’une rare beauté et on sent bien que derrière la caméra rien n’est laissé au hasard. Délice visuel, le film est une caresse pour les yeux de par sa photographie, ses choix de couleurs, le décor de la maison (personnage à part entière) et ses nombreux meubles, les habits des personnages, les paysages naturels sublimés et chargés d’une certaine mélancolie. L’écriture n’est pas en reste, oscillant avec élégance et drôlerie entre français et anglais. Les dialogues et situations bénéficient d’un délectable mélange de sensibilité, d’humour doucement vachard et de tendresse.
Avec une poésie envoûtante, Andrew Steggall se penche sur les portraits d’une mère et de son fils qui ont en commun d’être à un tournant de leur existence. L’amour qui circule entre eux est palpable mais plongés au sein d’une tourmente intime ils ne s’épargnent souvent rien. Beatrice est un peu la ménagère anglaise parfaite : toujours habillée avec soin, distinguée, elle tente de sauver les apparences alors que tout son monde s’écroule avec une séparation annoncée. Elliot, ado différent, plongé dans son monde, sa soif de créativité et ses obsessions, masque sa timidité par une érudition précoce. Il cherche à ressentir, se mettre à l’épreuve et s’il réfléchit beaucoup, il veille aussi à suivre ses pulsions, aussi masochistes puissent-elles être. A ces deux âmes en peine s’oppose le sauvage Clément. Un garçon animal, instinctif, qui transpire la jeunesse, la liberté et le sexe.
Liquide et solide, bestialité et humanité s’opposent et se mélangent dans une tranche de vie aussi intense qu’intemporelle. Le réalisateur semble à la fois en recherche permanente de beau, s’inspirant de nombreux arts, tout en cherchant l’étrange, la sensation, la pulsion. Chaque protagoniste est pleine de bizarreries, se regarde comme un tableau en mouvement à la beauté singulière et magnétique. A la fois à vif et plein de vie, joueur et dramatique, « Departure » sonde les âmes et les émotions de personnages en pleine noyade avant l’espoir d’un nouveau départ. On comprend bien que rien ne sera facile pour Beatrice, Elliot et Clément, mais en se débattant, ils dansent avec la grâce. Belle révélation d’un auteur à suivre, à l’univers aussi fort que puissant.
Film sorti en 2017 et disponible sur OutplayVOD