DOMAINE de Patric Chiha : la tante particulière

Pierre (Isaïe Sultan) , 17 ans, passe presque tout son temps libre avec sa tante Nadia (Béatrice Dalle). Une tante originale, pas comme les autres, qui lui apprend toujours des choses, lui donne des leçons, lui fait partager sa passion et sa curiosité pour les Mathématiques (qu’elle enseigne par ailleurs). A ses côtés, Pierre découvre le monde des adultes, participe à des soirées, assiste à des conversations bien moins futiles que celles que peuvent avoir les jeunes de son âge. C’est un lien unique qui unit les deux individus : plus que familial, amical, c’est une vraie histoire d’amour, à vif. Ils se nourrissent l’un l’autre. Mais si elle se plait à donner des leçons, à jouer à la femme sage, Nadia est avant tout quelqu’un de vulnérable. Blessée par une rupture amoureuse, seule, dépendante. Alors qu’elle retombe dans l’alcoolisme, Pierre n’est plus certain de pouvoir tout gérer pour elle, de devenir l’adulte. D’autant plus qu’il va rencontrer un garçon qui sera loin de le laisser indifférent…

On ressort de Domaine, premier long-métrage de Patric Chiha, particulièrement ému et sacrément emballé. Il y a pourtant de quoi tiquer au départ : dialogues très écrits, Béatrice Dalle qui se lance dans des sortes de monologues qui sentent la récitation…Mais finalement, plus le film avance et plus on s’habitue à ce ton singulier, il parait de moins en moins pompeux et révèle au contraire la fragilité du personnage. Nadia en fait trop. Elle aime balancer ses vérités, ses opinions, ses points de vue sur le monde. Elle impressionne son neveu, elle se protège elle-même par les mots, se sert d’eux pour se donner une consistance, cacher le chaos qui l’entoure.

La relation entre Pierre et Nadia est belle et fragile, vouée à s’inverser. Au début, Pierre observe le monde des adultes avec naïveté, amusement et curiosité. Nadia est alors encore en position de force. Elle est une sorte de modèle, une inspiration. Le jeune homme l’aide à choisir ses robes, l’admire comme une muse ou plutôt une icône. Une icône qui apparaît déjà dans le miroir comme fatiguée. Puis Nadia cède petit à petit à ses démons, se fragilise. Pierre de son côté grandit, prend conscience qu’il ne doit pas vivre que pour sa tante, qu’il faut qu’il pense à lui, passe du temps avec des gens de son âge…Il va finir par prendre le dessus sur la relation, s’occuper de Nadia, lui faire prendre conscience de ses problèmes. Jolie inversion pour une relation toujours ambiguë et magnifique. Une relation unique faite de rendez-vous, de ballades dans un parc qui prennent des allures de rituel. Au fil du récit la notion de temps et les certitudes s’envolent, le chaos avance.

On pense au premier film de Christophe Honoré (17 fois Cécile Cassard, déjà avec Béatrice Dalle), au cinéma de Gaël Morel aussi : il y a cette ambiance de film d’auteur homophile et rock, sombre, un peu difficile mais fascinant. Mon petit cœur de spectateur a battu plusieurs fois très fort. Pour le plaisir de retrouver à l’écran Béatrice Dalle dans un rôle complexe, pour le beau et naturel Isaïe Sultan, pour cette relation borderline entre une tante et son neveu… Il y a une atmosphère, une énergie qui se dégage des images. Patric Chiha parvient notamment à nous faire adhérer à l’histoire d’amour entre Pierre et un bel inconnu avec très peu de scènes et de dialogues. Il y a quelque chose qui relève de l’animalité, de l’évidence, de la pulsion. On craque.

Le film s’articule autour de plusieurs moments comme suspendus, des moments de grâces et des chutes violentes. On retiendra un passage en boite de nuit, à la beauté irréelle, où les corps se libèrent, avec au milieu Béatrice Dalle, resplendissante. Bonheur et gueule de bois, relations fortes et solitude, raison et addiction : Domaine est une première œuvre certes parfois maladroite mais au charme et à la sensibilité telles qu’on ne peut retenir bien longtemps son émotion. Coup au coeur.

Film sorti en 2010. Disponible en DVD et VOD