FICTIONS LGBT

Eastsiders (Kit Williamson, 2012) : les infidèles

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A l’instar de la très réussie web série d’Adam Goldman, The Outs, Eastsiders a été financée par le biais du crowd-funding. Elle a depuis été diffusée sur le site de la chaîne gay américaine LOGO. Impossible d’ailleurs de ne pas évoquer The outs tant les deux fictions ont de multiples similitudes. Chacune joue du charme d’une production indé et intimiste, est réalisée et écrite par un auteur gay qui y tient également le premier rôle. Les ressemblances ne s’arrêtent pas là puisque comme dans The outs, il est dans Eastsiders question de couple et de séparation, que le ton alterne entre drame sensible et pudique et comédie, que le personnage principal a une meilleure amie rigolote et un peu fêlée… Signe de l’ère du temps ? Si Eastsiders peut souffrir du fait qu’elle débarque quelques mois après la pépite d’Adam Goldman, elle trouve pourtant bien sa propre identité au fil des épisodes. Kit Williamson en parle comme d’une « comédie noire ». On est en effet ici plongé dans l’intimité d’un couple en plein délitement et alors que les épisodes se succèdent, la mélancolie nous attrape dans ses filets.

L’intrigue se situe à Silverlake. Cal (Kit Williamson) et Thom (Van Hansis) sont en couple depuis plusieurs années et ont emménagé ensemble il y a peu de temps. Cal travaille dans une petite galerie d’art et fait de la photographie, Thom est écrivain. Les derniers écrits de ce dernier parlent d’infidélité et il finit par s’avérer que ce qui a été écrit n’est pas seulement le fruit de son imagination. Un soir, lors d’une fête de fin du monde, Cat découvre malencontreusement que Thom a une liaison et se retrouve face à son amant. La pilule est très dure à avaler. Thom promet d’aller mettre un terme à cette histoire le lendemain. Mais quand il se retrouve face à celui qu’il est venu larguer, le très sexy Jeremy (Matthew McKelligon), il a du mal à prendre ses distances et couche une nouvelle fois avec lui. Jeremy n’est pas au courant que Thom est en couple et pensait jusqu’alors vivre un heureux début de relation. Thom part de chez lui sans rompre. Quelques temps plus tard, alors que Cat fouille dans le téléphone de son petit ami infidèle, il voit arriver un SMS de Jeremy proposant de le retrouver. Cat se permet de répondre et va chez Jeremy pour mettre les choses au clair. Tout en buvant de nombreux verres, les deux garçons se confrontent dans une atmosphère tendue. Jeremy tombe de haut en découvrant que Thom lui a menti et Cal se sent bloqué, toujours amoureux mais pas du tout certain de pouvoir refaire confiance. Ivre, Cal couche à son tour avec Jeremy. Ce dernier tente de le draguer, confus, mais Cal répond qu’il le déteste. Les semaines passent, Cal et Thom tentent de reprendre leur routine mais quelque chose s’est brisé. Thom a arrêté de voir Jeremy, qui ne s’arrête pas pour autant de le harceler. C’est désormais Cal qui part en vrille. Après Jeremy, il se laisse séduire par son patron…

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L’écriture ne manque ni de finesse ni d’intelligence, l’interprétation est juste et sensible, la réalisation pudique et délicate, les images ornées d’une bande-originale très belle et mélancolique. Eastsiders appuie clairement là où ça fait mal et dresse le portrait d’un couple dans la tourmente. Kit Williamson ne ménage pas ses personnages, s’arrête sur leurs travers, au risque de ne pas toujours les rendre sympathiques. C’est sans doute là le point fort de la série, qui montre la complexité de l’homme, toujours tiraillé entre ses sentiments et ses pulsions sexuelles. Cal est celui qui a été trahi au départ mais sa façon de gérer sa déception, sa tristesse, sa colère vis à vis de Thom, finissent par l’égarer, par renforcer son égoïsme, son mal être. Il semble chercher une porte de sortie mais se sent incapable de quitter son compagnon. On peut rester amoureux de quelqu’un tout en étant conscient que cela ne marche plus, que ce qui faisait la force de la relation, sa magie, n’est plus là. Et la rupture de sembler de plus en plus inévitable. Mais pour céder la place à quoi ? Eastsiders montre la difficulté d’une génération qui rêve d’amour tout en étant consciente que la réalité est à mille lieux des comédies romantiques. Tous les personnages masculins sont infidèles ou admettent ne pas voir passer une journée sans penser à tromper leur partenaire. Comment faire durer son couple malgré ces idées, ces tentations, où se trouve la limite à ne pas franchir ? Le scénario nous laisse avec de nombreux points d’interrogations, dans un état certain de tristesse.

Cal et Thom souffrent sans aucun doute de la pire des infidélités. Thom a à la fois trompé Cal « physiquement » avec un autre mais il l’a aussi trahi « sentimentalement » en s’attachant à son amant, en débutant une nouvelle relation. Quand Cal va voir ailleurs il peine à obtenir plus qu’une ivresse physique. Il n’arrive jamais totalement à se défaire de son amour pour Thom. Mais l’infidélité évoquée dans la série ne se résume pas qu’à ça. A travers le personnage féminin de Kathy (Constance Wu), Kit Williamson évoque une autre forme d’infidélité des plus néfastes : l’infidélité face à soi-même et l’infidélité que constitue le mensonge. En couple depuis six mois avec un charmant jeune homme, Kathy flippe alors qu’elle pense être demandée en mariage (ce qui s’avérera être un malentendu) et se retrouve enceinte (mais songe à avorter sans prévenir son partenaire). Kathy veut être en couple mais ne veut pas de suite perdre sa liberté, s’engager, changer de vie. Alors que son petit ami est absolument cool, elle se monte tout un tas de problèmes dans sa tête et finit par mal agir et réagir.

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Portrait d’une génération qui rêve d’amour mais qui ne veut pas « se laisser enfermer », lucide sur l’effusion du désir et les tentations permanentes mais ne pouvant s’empêcher d’espérer échapper au couperet de la séparation, Eastsiders aborde frontalement la question du couple et de la fidélité, la difficulté de trouver son bonheur dans une société plus ouverte mais où tout apparaît comme terriblement indéterminé, complexe, flou. Si jusque dans sa fin la série fait écho à The outs, elle se distingue par sa noirceur plus prononcée, la dualité et le côté nettement plus tourmenté de ses personnages. On en ressort pas tout à fait indemne.

La série n’est pas disponible publiquement sur le web comme l’était The Outs. Pour la voir, il faut aller sur le site de LOGO. L’accès aux vidéos est limité aux Etats-Unis. Mais en bidouillant 5 minutes avec Tunlr, vous devriez pouvoir y accéder.

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3