EDOUARD LOUIS OU LA TRANSFORMATION de François Caillat : espoir

By Gaspard Granaud | 18 novembre 2023

Le réalisateur François Caillat raconte à travers ce beau et sensible documentaire l’itinéraire de l’écrivain Edouard Louis et sa transformation grâce à l’art.

C’est une histoire que les français connaissent bien : Edouard Louis a été une véritable sensation littéraire au moment de la sortie de son roman En finir avec Eddy Bellegueule et s’est établi à une vitesse éclair comme l’un des écrivains les plus populaires du pays. C’est que son histoire est aussi belle, universelle qu’inspirante. L’histoire d’un transfuge de classe qui a réussi à changer de vie grâce à sa curiosité, son amour de l’art et son obstination. 

Son succès, Edouard Louis le doit à tout son travail, sa passion, ses batailles personnelles, son style, sa façon d’arriver à parler au plus grand monde en puisant dans ses souvenirs et émotions toutes personnelles. C’est aussi, comme ce film documentaire le confirme, un personnage à part entière, foncièrement attachant. On ne se lasse pas de l’écouter, il a une belle voix, un beau phrasé, un sourire qu’il n’aime pas mais qui illumine pourtant chaque plan. Il y a plein de lumières dans ses yeux, il est habité. Quand il parle il se passe toujours quelque chose.

Les fans de la première heure apprécieront de passer le temps du métrage en sa compagnie et pour ceux qui ne seraient pas encore familiers avec son oeuvre littéraire et théâtrale, Edouard Louis ou la transformation constitue une jolie porte d’entrée. On y (re)découvre ses récits, son histoire, et nul doute que beaucoup de jeunes pourront être touchés et y trouver une forme d’espoir. 

Edouard Louis se raconte avec beaucoup de simplicité et d’authenticité face caméra ou en naviguant dans des lieux qui ont marqué sa jeune et déjà riche vie. Flanqué d’un nom associé à une famille de gros durs, un prénom inspiré d’héros clichés américains, il a longtemps souffert de se sentir différent et incompris dans sa bourgade natale. 

A travers notre existence, on peut souvent se sentir seul ou avoir honte de tout un tas de chose. En tant que gay, ado on a peur d’être rejeté pour ce que l’on est. Enfant ou plus tard, on peut souffrir de sa condition sociale. Avec franchise, Edouard Louis raconte comment sa maison lui faisait honte, les paroles dures qu’il a pu avoir vis à vis de sa mère (et aussi que celle-ci a pu avoir vis-à-vis de lui), ce moment où il a voulu être habillé avec des fringues de marque pensant que c’était le moyen de s’intégrer alors qu’au final cela allait le rendre plus plouc que jamais… Il a le don de transformer des anecdotes, des petites phrases, en de grands moments marquants chargés en intensité, souvent déchirants.

Ce qui est beau ici, c’est l’idée et l’expérience personnelle partagée d’un jeune homme qui a changé son destin grâce à sa soif de culture. Débarqué à Amiens, travaillant dans une salle de théâtre, il observe les spectacles, scrute les cocktails, lit beaucoup. Il se forge sa culture et en même temps il se réinvente alors qu’il trouve les auteurs et les artistes qui l’inspirent et le nourrissent. Venu de nulle part, il rêve fort de se transformer, de prendre l’ascenseur social, de ne pas se laisser enfermer dans les cases que ses proches et que la société ont décidé de lui attribuer. 

Ce qui a fait le succès de ses écrits et qui touche une nouvelle fois ici c’est la sensibilité avec laquelle il raconte cette transformation tellement désirée. Même lorsqu’elle arrive, quand on finit par se faire sa place dans le milieu qu’on souhaitait intégrer, persiste ce sentiment bizarre. Le quotidien et les gens ont vite fait de vous rattraper et de vous rappeler que c’est marrant, vous n’étiez pas prédestiné à ça. 

Le titre du film contient la clé de ce « personnage » : la transformation, qui peut être universelle, qu’on peut s’approprier comme l’on veut. Cela vaut pour ceux qui se sentent différents ou en marge, pour ceux qui grandissent dans un milieu défavorisé, pour ceux qui souhaitent changer d’identité ou de sexe. 

A travers ce projet, Edouard Louis crie son amour au théâtre, la forme d’art qui selon lui est l’une des seules à pouvoir tendre les bras si facilement, nourrir, faire grandir. Le documentaire est ainsi largement entrecoupé de passages théâtraux. 

Aujourd’hui, Edouard Louis cite à la minute tout un tas d’auteurs qu’avant il faisait semblant de connaitre. Et ceux qui regardent son film peuvent comme lui avoir l’envie de transfigurer le cours des choses, rêver, se dire que c’est possible, qu’il ne faut pas avoir peur de se jeter à l’eau, de changer de ville, de nom s’il le faut et oser prendre un nouveau départ pour se reconstruire. 

Film produit en 2022, présenté au Festival Chéries Chéris 2023 / Sortie au cinéma le 29 novembre