CINEMA
ELVIRA MADIGAN de Bo Widerberg : le rêve d’un amour libre
1889. Le comte et lieutenant Sixten Sparre (Thommy Berggren) trahit sa nation et abandonne sa femme et ses enfants pour s’échapper avec Elvira Madigan, de son vrai nom Hedvig Jensen (Pia Degermark), « princesse du cirque », funambule à la beauté éclatante. On les recherche, ils sont en cavale et cherchent à se faire oublier, à renaître pour enfin vivre leur amour au grand jour.
Dans la campagne suédoise isolée, au milieu de la nature, ils savourent le plaisir d’être ensemble, libres. Mais dans la très belle demeure dans laquelle ils louent une chambre, d’autres clients finissent par les reconnaître. Ils n’ont d’autre choix que de fuir. Plus tard, un ami du régiment de Sixten le retrouve. Faussement bienveillant, il l’a surtout cherché pour le convaincre de reprendre ses esprits, d’abandonner sa passion pour respecter ses engagements.
Les jours passent et les deux amoureux sont peu à peu rattrapés par la société et ses codes. Ils manquent d’argent, n’ont parfois plus de quoi manger, sont contraints de continuer à se cacher…
Adaptation d’une célèbre histoire suédoise, Elvira Madigan est un enchantement du premier au dernier plan. On pense à Terrence Malick pour le rapport poétique à la nature, la pureté des sentiments mis en scène. Ce film d’une beauté éclatante évoque la grâce de tableaux impressionnistes. C’est un film qu’on aurait presque envie de manger. Tout y est magnifique. Partant de scènes faussement anecdotiques (un pique-nique au soleil, un moment de tendresse entre deux amants, des regards, des caresses…) , Bo Widerberg sublime le sentiment amoureux, rappelant si besoin était qu’il est la chose la plus puissante et en même temps la plus fragile qui peut frapper une vie. Sixten et Hedvig s’aiment passionnément, ont renoncé à tout pour être ensemble, défiant la morale, passant outre la culpabilité d’avoir pu blesser des personnes chères. Ils ont eu la force de partir, de se dépouiller pour célébrer ce qui les faisaient se sentir vivants. Les premières scènes glorifient leur union. Des gestes tendres, de la sensualité, un baisé à la mousse à raser… Ils sont montrés comme des enfants, qui jouent, oubliant le reste du monde, les responsabilités. Ils sont comme au paradis. Défile un rêve éveillé.
Rapidement les choses se corsent. Ils n’ont pas d’argent, se heurtent à la question de la survie. Les journaux et la majorité de la population les condamnent, ils doivent être vigilants. Le bonheur simple et essentiel d’être ensemble est peu à peu contaminé par les éléments extérieurs. Le fait de devoir chaque jour céder un peu plus, renoncer, commence à être ressenti comme une douleur. Ils ont soif de vivre et d’aimer, dévorent les fruits qui se présentent à eux au risque de se rendre malade. Chaque repas rendu possible grâce à un troc devient un moment de joie. Des fraises et des baisers à la crème… Mais malgré leur force, ils se laissent affaiblir, finissent par en arriver à l’insupportable conclusion que leur union pourrait ne pas résister face au monde hostile.
Les deux acteurs sont sublimes dans tous les sens du terme. On a comme l’impression d’assister à un poème visuel, avec en fond le Concerto pour piano n°21 de Mozart. C’est le récit pur et bouleversant de deux amoureux funambules dont le destin ne tient qu’à un fil. Economie des dialogues, splendeur de l’épure, puissance de la mise en scène, colorée et sensorielle. Après un final marquant, on ressort de cette œuvre complètement secoué. Un sommet de romantisme, un chef d’oeuvre qui gagne à être davantage connu.
Film sorti en 1967 et disponible en VOD