CINEMA
EMA de Pablo Larraín : l’imprévisible
Après le superbe biopic Jackie, Pablo Larraín revient à un sujet plus intimiste avec une soif toujours palpable d’expérimentations. Orné d’une bande-originale signée Nicolas Jaar, Ema est un film étrange, envoûtant et imprévisible à l’image de son héroïne.
Chilli. Ema (Mariana Di Girolamo) est une jeune danseuse talentueuse et au caractère bien trempé. En couple avec le chorégraphe avec lequel elle travaille, Gaston (Gael Garcia Bernal), elle est à deux doigts de se séparer de lui. C’est qu’ils ont vécu ensemble un terrible événement.
Amoureux, désireux d’avoir un enfant, ils se sont rendus compte que Gaston était stérile. Ils ont fini par adopter un petit garçon, Polo. Sauf que les choses ont mal tourné, Polo finissant par provoquer un incendie, brûlant une partie du visage de la soeur d’Ema. Suite au drame, Ema et Gaston ont « rendu » l’enfant au centre d’adoption. Cette décision hâtive vient aujourd’hui empoisonner leur quotidien, chacun des deux anciens parents ne parvenant pas à gérer sa culpabilité.
De plus en plus déterminée à récupérer Polo, Ema comprend que ce projet se révèle impossible. Pas du genre à accepter « non » comme une réponse, elle met en place un stratagème un brin machiavélique pour parvenir à ses fins…
Alors qu’on entre dans ce nouveau long-métrage de Pablo Larraín, on a l’impression d’être propulsé en plein trip. L’intrigue se révèle par bribes, joue du mystère, des émotions et des pulsions, en laissant une large place à la musique et à l’expression des corps. La danse inaugurale qui entrecoupe les jalons de l’histoire est atmosphérique et étourdissante à souhait. On ne sait pas du tout où l’on va mais la mise en scène très forte, sensuelle et envoûtante du cinéaste nous hypnotise complètement.
On finit par comprendre le drame survenu dans la vie d’Ema et de Gaston et la détermination de cette dernière à récupérer le garçon qu’elle avait recueilli puis abandonné. Dans la peau de cette danseuse qui s’exprime avec son corps et utilise ce dernier pour parvenir à ses fins, Mariana Di Girolamo est fascinante d’ambivalence de bout en bout. Ema est tour à tour émouvante, subjuguante, sauvage, cruelle voire flippante.
Ici l’amour se mêle en permanence à une sorte de monstruosité et de violence primitive. On peut aimer un homme et lui balancer les pires horreurs en pleine face et vice-versa, on peut aimer un enfant et lui faire mal de la pire des manières, on peut désirer et avoir de l’affection pour quelqu’un tout en le manipulant.
Au drame intime et à l’oeuvre sensorielle se substitue mine de rien un thriller charnel alors qu’Ema se mue en femme fatale, séduisant un homme et une femme en couple (sans que l’autre ne se doute de rien) pour des raisons bien précises (saluons au passage le sex appeal du bombesque acteur Santiago Cabrera en pompier infidèle).
La vision d’un Chilli en décrépitude va de pair avec une vision du couple et de la famille qui est pour le moins nihiliste. Jusqu’à son dernier plan glaçant, ce long-métrage fait un drôle d’effet, impressionnant par sa réalisation archi maitrisée, son scénario millimétré et le charme vénéneux de son interprète principale. Un des grands films de 2020.
Film sorti au cinéma le 2 septembre 2020