FICTIONS LGBT

EN ÉMOI (In Bloom) de Chris Michael Birkmeier : la fin d’un amour

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Chicago. Kurt (Kyle Wigent) et Paul (Tanner Rittenhouse) sont deux jeunes gays en couple. Kurt gagne sa vie en dealant de l’herbe, Paul travaille dans un supermarché. Depuis quelques temps, leur relation est tombée dans une sorte de routine qui ne semble pas convenir à Kurt. Lorsque ce dernier se fait draguer à une soirée par un jeune mec attirant, Kevin (Adam Fane), il commence à se poser des questions, à se demander s’il est encore amoureux. Doucement se profile la destruction d’un lien que Paul n’avait aucune envie de voir anéanti …

Premier long-métrage de Chris Michael Birkmeier, En émoi (In Bloom en VO) suit le délitement d’un jeune couple gay américain. Comme c’était le cas pour Week-end, le très beau drame sentimental d’Andrew Haigh, le spectateur suit avec intensité l’itinéraire de deux personnages loin des clichés habituels. Ils n’ont pas un boulot de rêve, gagnent leur vie comme ils peuvent, plus ou moins dans la légalité. Néanmoins la comparaison avec Week-end s’arrête là. S’il dispose d’une forme soignée évoquant le style des meilleurs cinéastes indépendants américains, En émoi n’est pas forcément un film facile. Il en émane une énorme mélancolie. Chris Michael Birkmeier , qui a aussi signé le scénario de ce projet que l’on devine très personnel, dissèque la phase délicate de la rupture. Les premières interrogations, un doute qui ne cesse de prendre de l’ampleur, une certaine suffocation puis le passage à l’acte et ses conséquences…

Comment passe-t-on du tout au rien, des papillons dans le cœur à un état qui ne nous fait plus ressentir l’essentiel ? Les différences qui rendaient leur relation plus riche amènent au bout d’un moment Kurt et Paul à s’éloigner l’un de l’autre. Ils ne s’amusent pas ensemble aux soirées, ne rigolent plus beaucoup en règle générale. Evoluant dans un petit monde particulier (il deale et multiplie les soirées joints), Kurt semble aveuglé par un grand nuage de fumée. Il ne sait plus ce qu’il veut, ce dont il a envie. Paul, lui, est bien dans son couple et quand vient le moment des grandes discussions pénibles, il n’en revient pas…

en émoi Chris Michael Birkmeier

Le film alterne joliment passages pulsionnels et musicaux (un côté pop sentimental, un peu clipesque, avec des ralentis…) et scènes dialoguées criantes de vérité. Avec beaucoup de justesse, Chris Michael Birkmeier retranscrit et nous fait revivre cette situation terrible où l’on doit annoncer à celui qui partageait jusqu’alors notre quotidien que tout s’arrête. On souffre avec ce couple qui part en vrille, avec ces deux garçons attachants qui arrivent à un tournant de leur existence : celui qui s’accompagne de la difficile tâche de se reconstruire, seul. C’est parfois dur, toujours d’une énorme sensibilité et avec en fond le portrait d’une génération un peu perdue, entre petits boulots pas très épanouissants et chaos intime. C’est aussi un film sur la solitude sous ses multiples visages (la solitude de celui qui a rompu et de celui qui vient d’être plaqué, celle aussi d’un collègue de Paul, très introverti et l’aimant douloureusement en silence). A la cruauté des sentiments se mêle la cruauté d’une société où s’il est possible de s’aimer librement, le danger subsiste (un serial killer ayant pour cible des jeunes gays rode dans les rues).

Disposant d’une très belle écriture, profond, bénéficiant d’un casting de jeunes acteurs intenses, En émoi ne manquera pas d’en bouleverser plus d’un avec sa partition délicatement mélancolique.

Film produit en 2013 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3