FICTIONS LGBT
FORT BUCHANAN de Benjamin Crotty : en attendant les hommes
Roger (Andy Gillet) est depuis plus de 18 ans en couple avec Franck (David Baiot). Ils sont les papas d’une jeune fille désormais majeure, Roxy (Iliana Zabeth). Tandis que cette dernière se prépare à partir pour ses études, Roger traine sa mélancolie discrète au milieu de la base où il vit en compagnie de trois épouses délaissées et d’un agriculteur-entraîneur de sport.
Franck, militaire, a en effet été envoyé depuis des mois en mission à Djibouti et son absence pèse de plus en plus sur son partenaire. Sur le « fort », on parle de la vie, des petits arrangements avec la fidélité… Quand il finit par retrouver son amoureux à Djibouti, Roger réalise que leur relation est peut-être arrivée à un tournant…
Entre le moyen et le long-métrage (sa durée est d’environ 1h05), Fort Buchanan est la première oeuvre de Benjamin Crotty à être sortie en salles. Et c’est une belle promesse de cinéma. Réalisateur américain et francophile biberonné à Rohmer, ce dernier nous entraîne dans une sorte de réalité déformée où de jeunes gens séduisants vivent en marge du monde en attendant leurs amoureux. Volontairement queer et insolent, le projet accumule les répliques tordantes et improbables piochées dans des soaps US puis traduites en français. De quoi déployer un ton des plus singuliers et de faire de l’ensemble une sorte d’irrésistible OFNI.
Dans cette base isolée, il n’y a pas grand chose à faire. Alors on ressasse ses problèmes existentiels. Roger se sent seul, les épouses solitaires malgré elles qui gravitent autour de lui pensent à s’envoyer en l’air lors de mystérieux goûters, draguent l’agriculteur gay (et ancien homme battu) du coin, lancent un défi consistant à coucher avec la jeune et plantureuse Roxy… La bonne morale et les conventions sont priées de gentiment aller se faire voir, on finit par ne plus trop savoir quand on doit rire ou s’émouvoir, on navigue au coeur d’un univers poétique et intemporel, se moquant du bon goût. Le casting est charnel, sensuel et provocant à souhait (à la beauté plus plastique des uns répond le charme magnétique des autres – Iliana Zabeth est particulièrement troublante). Les scènes d’un érotisme latent ou plus frontal s’accumulent. Les thématiques fusent sur une toile faussement brouillonne et joliment ludique.
Dans Fort Buchanan, il est aussi bien question du désir, de l’amour et de ses sacrifices, des petites trahisons, du temps qui passe que du monde d’aujourd’hui où les hommes se consomment ou se font remplacer par des machines. On se laisse balader comme des gosses, avec le plaisir rare et précieux d’avoir la sensation d’assister à la naissance d’un jeune cinéaste qui ne manque ni de références ni d’audace. Réalisé avec peu de moyens, le film a un vrai cachet, une esthétique, une grâce.
Film sorti en 2015 et disponible en VOD